Youssoufou Ouédraogo

Youssoufou Ouédraogo

Suite de l'article "Pieds sur terre"

En effet, avec le développement de la presse en ligne et des réseaux sociaux où tout le monde discute avec tout le monde, de vieilles critiques sur un hermétisme des « intellectuels africains », reviennent à la surface. Il y en a, à succès sur les réseaux sociaux, qui vont jusqu’à affirmer que « l’Afrique a mal à ses intellectuels » dont l’intellectualité ne servirait qu’à eux-mêmes ; que certains intellectuels ne prendraient la parole que pour parader « gros français » pour les francophones, incapables qu’ils seraient de rendre leur message digestible par les africains.

 

Comme dans toute activité de communication, il y a, dans cette critique, au moins deux leviers à activer : d’un côté, tenu par un auteur (au sens large), la forme de langage (dont le niveau) en rapport avec le message y contenu, et, de l’autre, tenu par un lecteur ou assimilé, les efforts nécessaires pour comprendre le message, s’il est potentiellement intéressant. Il s’y cache donc une bonne interpellation, mais aussi un piège et un zeste de mépris pour la production et la consommation de savoirs et pensées.

 

Interpellation ?

 

Quand on dit que « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément » (Nicolas Boileau-Despréaux : L’Art poétique, 1674), c’est une invite à bien clarifier sa pensée dans l’esprit, avant de l’exprimer (restituer) par un langage, le plus clair possible. Il est cependant clair que cet exercice de restitution ne peut pas se formaliser de manière absolument univoque. Elle conservera ses difficultés et ses équivoques spécifiques propre à l’activité humaine. C’est dire que comprendre demande un investissement de ressource, d’efforts nécessaires pour ce faire. C’est dans cet esprit d’interpellation qu’on peut fertiliser ces critiques. Les philosophes antiques n’auraient aucunement parlé ou écrit pour ne pas se faire comprendre. Pourtant, les savants modernes tentent toujours, diversement et différemment, de saisir les essences de leurs discours. En vérité, c’est ce qu’on veut dire, idées ou savoirs, qui indique ou détermine la valeur de forme du langage qui n’en est, alors, qu’une épouse ou un époux avec leurs mêmes attributs de fidélité dont, au moins, les très bonnes intentions.

 

Piège ?

 

En plus des considérations esthétiques intentionnelles particulières, du reste légitimes, il y a toujours des niveaux et formes de langages réputés « inaccessibles » (au premier venu). Cela est valable pour tous les arts (cinéma, peinture, poésie, etc.) et dans toutes les langues (Français, Arabe, Bambara, Peulh, etc.). Les « idées et savoirs au fond », qui indiquent ou déterminent la forme du langage, demandent des prérequis et/ou des efforts intellectuels supplémentaires de la part du public, de l’auditeur ou du lecteur pour leur compréhension. En raillant l’artiste ou le « preneur de parole », on induit, qu’on le veuille ou non, un piège à double entrée :

 

1 - côté public/lectorat/auditoire : parce que la faute est renvoyée à celui qui prend la parole, il se lamine tout effort d’élévation, s’installe tendanciellement dans ses paresses et routines intellectuelles ;

 

2 - côté « preneur de parole » : parce que culpabilisé pour la forme de son langage, il peut s’auto-culpabiliser en retour. Il éviterait ainsi les sujets difficiles (exigeant forcément des subtilités et des complexités analytiques), au profit du silence ou des « banalités » non-susceptibles de faire bouger les choses.

 

Au bilan, c’est une insuffisance, voire une absence, de pensées originales, de pensées complexes ou subtiles dont on aurait besoin pour faire face à des situations et problèmes originaux et complexes. On se ferait ainsi indéfiniment consommateur de pensées d’ailleurs, là où le discours complexe et subtil n’est pas raillé, camouflé ou rejeté mais valorisé et exploité.

 

Mépris ?

 

En exigeant un discours simple aux « intellectuels africains » pour se faire comprendre par les africains, on insinue que ces derniers sont incapables de produire les efforts nécessaires pour accéder à une pensée originale, complexe ou subtile, rendue par un niveau de langage forcément soutenu.

 

Conclusion :

 

Routine et paresse sont les avatars d’une mauvaise compréhension de cette critique-interpellation, aussi bien dans la production que dans la consommation des savoirs. Que chacun s’efforce de restituer le plus fidèlement possible, ce qu’il a dans sa pensée, relativement aux sujets traités. Cela, dans les limites de sa maîtrise de la langue et des concepts utilisés. Toute autre considération devrait y être subordonnée. En face, on ne peut qu’inviter le lecteur à se donner, éventuellement, et chaque fois que de besoin, les efforts (ressources conatives) nécessaires pour y appréhender ce qui l’intéresse, si ça l’intéresse.



29/06/2021
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