Youssoufou Ouédraogo

Youssoufou Ouédraogo

Anti-impérialisme, le ver et le fruit

Le discours officiel, au sens large (incluant celui de sensibilisation, formation, conscientisation par l’élite intellectuelle) ruisselle et s’évapore comme sur du goudron, plus qu’il ne s’infiltre au sein du « peuple national ». Il en sera ainsi, tant que ce peuple n’accèdera pas à un minimum de dignité citoyenne (sécurité, instruction et santé). Pour s’en convaincre, entre autres, il faut suivre la radio rurale et les radios locales (émissions interactives en langues nationales, entretiens avec des « sages » coutumiers et religieux, reportages en milieu rural, etc.). Des choses « simples » (excision, mariage forcé et précoce, vaccination/alimentation des nourrissons, etc.) qu’on croit assimilées à la base, ne le sont toujours pas en réalité. N'en parlons de droits de l'homme/femme/enfant, qui ne "circulent" que sur certains goudrons de Ouaga et Bobo !

 

Dans le même temps, le discours anti-impérialiste, auparavant élitiste, puis brouillé depuis quelques années par nos désarrois sécuritaires et une panafricanité hors sol, s’est énormément et rapidement popularisé. Cela est une opportunité, mais ne semble pas correspondre à une étendue/profondeur de prise de conscience. Pour le moment on n'en subit que des difficultés nationales d’encadrement, de relayage, de compréhension et d’interprétation sur le terrain des opérations. Et chez nous, on ne peut occulter une certaine particularité : nos "intimes détestations réciproques". Certaines des plus robustes ("inbouges") datent de plus de 45 ans, c’est à dire plus "âgées" que 87% de notre population (recensement de 2019). "Intimes détestations" qui, en principe, n’ont pas lieu d’être sous la bannière de la lutte anti-impérialiste. Car, réellement ou potentiellement, il y a de la place pour tous, en tout cas pour beaucoup plus qu’on ne le croit (de l’intérieur des cloisons des regroupements et chapelles anti-impérialistes).

 

Dans une tribune (L’Evènement n°413 du 10 janvier 2020), je disais que « C’est une erreur de faire croire qu’en remplaçant la France par l’ONU, les USA, la Russie, la Chine ou autre, comme on entend çà et là, on aurait avancé dans notre quête de souveraineté. Toutefois, ce pourrait être une tactique de déconstruction de la toute-puissance de la France dans notre pays, si telle est l’option. Les cas de Mayotte, de la Nouvelle Calédonie, du rattachement de la Crimée à la Russie par un référendum en 2014, etc., montrent la complexité et la pluralité des approches anti-impérialistes d’émancipation ; en tant que valeur, il n’est pas d’expression universelle. Son accolement traditionnel à un pays en particulier est commode (indique l’indispensable « ennemi »), mais brouille son appréhension moderne et le fait intimement côtoyer l’anti-Pays (ex. anti-France), malgré les récusations formelles. »

 

En mai passé, dans un post sur Facebook, je me demandais « pourquoi des jeunes (y compris des universitaires) en sont toujours et de façon aussi saillante, paradoxalement, à un anti-impérialisme vieillot des années 1960, celui du PAI à l’époque ? Avec tout ce que le pays a eu et connu comme traditions nationales anti-impérialistes depuis lors, on peut se demander qu’est-ce qui n’a pas marché et qui ne marche toujours pas ? » En effet, dans les années 1950 et 1960, le monde était bipolarisé, et choisir la France et alliés revenait à rejeter la Russie et alliés, et vice versa. Cette situation avait inspiré le mouvement dit des « non-alignés » en 1961 (le terme est plus ancien).

 

Ce qui se passe confirme bien que quelque chose n'a pas bien marché et ne marche toujours pas bien dans les formations et l’éducation anti-impérialistes de la jeunesse dans notre pays. Il ne s’agit pas de chercher des responsabilités ou des culpabilités, encore moins leurs représentations organiques mais de juste constater les choses, comme un paradoxe, à tout le moins un inattendu, …

 

  • au pays de Ki Zerbo qui n’avait pas hésité à quitter son poste de professeur à l'Université de Dakar et, avec une trentaine d'autres intellectuels, à rejoindre la Guinée de Sékou Touré pour y enseigner. "Il s’agissait pour ces jeunes intellectuels révolutionnaires d’affirmer … leur orientation antiimpérialiste et leur détermination à œuvrer pour l’indépendance réelle de l’Afrique" (Badini, 2000). Après le "Oui" à l'indépendance de la Guinée en 1958, la France avait rapatrié tous ses cadres majoritairement des enseignants pour "prouver" que l'indépendance votée n'était pas viable.

 

  • au pays de Sankara dont le discours anti-impérialiste est de retentissement mondial, et reste le plus consommé, quoiqu’on puisse en dire, par notre jeunesse et par celle d’autres pays ;

 

  • au pays de plusieurs grandes organisations anti-impérialistes de jeunes parmi les plus dynamiques et les plus éprouvées du continent.

 

Ce qui s’est passé à Bobo et à Ouaga le 1er octobre (saccages des « Instituts français », bibliothèques et autres installations culturelles y comprises) ramène à l'esprit le saccage de la mine de Houndé par des orpailleurs avec destruction en connaissance de cause des biens privés d’ouvriers et d’autres travailleurs sur le site. Il y avait eu une délectation à peine contenue de certains anti-impérialistes éprouvés, brouillant le message et le ciblage de la lutte contre l’impérialisme. Plus que des dégâts collatéraux parfois inévitables, c’était comme si travailler pour la mine de Houndé était coupable, sous-entendu pro-impérialiste.

 

A plus petite échelle, ce qui se passe me ramène à l’esprit un commentaire vu sur Facebook, lors du dernier Euro de football, de la part d'un facebookeur (niveau bac minimum, 5000 amis bouclés, suivi par plus de 10 000 personnes). Il y disait en gros que si la France joue contre Boko Haram, il soutiendrait Boko Haram. Certains de ses amis de Facebook sont venus liker ou adorer.

 

C’est dire qu’avec la popularisation du concept, une opportunité encore une fois, des propos et attitudes ont contribué à brouiller le contenu et égarer la colère d’une frange non-négligeable de la jeunesse sur de fausses cibles, sur de fausses solutions à ses désespoirs et désarrois.

 

C'est ce que nous vivons depuis quelques années. Et c’est un gros caillou dans les chaussures de la relève politique et de tout prétendant.



16/10/2022
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