Youssoufou Ouédraogo

Youssoufou Ouédraogo

Putschisme au Sahel, la balle aux citoyens

Il est de droit humain naturel (fondamental) pour tout peuple de choisir ou de révoquer ses représentants/gouvernants, selon des règles préétablies et connues. Car ces règles sont censées refléter les systèmes de valeurs dudit peuple, alors objectivés par des codes de façon volontariste, avec des possibilités de non-conformités. Mais quel que soit le contenu qu’on donnerait à ces systèmes de valeurs, et quelles que soient les non-conformités de leur codification, le putschisme, la prise du pouvoir par les armes, ne saurait être le sens de l’histoire. En clair, dès qu’on y entre, on prépare la sortie, parce qu’on en sortira, forcément, et à court-terme. Le pouvoir issu d’un tel complot est si fortement contraint qu’il est impossible de le tenir comme tel, même sur un moyen terme.

 

Aperçu

 

Le Sahel était déjà devenu le réceptacle (le "beurre", dirait l’autre) du terrorisme mondial à partir de 2013, un fait précipitamment révélé par le saccage de la Lybie. Depuis, particulièrement pour le Mali et le Burkina, il y a eu très peu d’éclairci. De vastes zones demeurent hors contrôle des états nationaux, et les attaques terroristes se structurent de plus en plus en séquences (batailles) de guerre : de plus en plus « complexes » (terme militaire consacré), audacieuses et meurtrières. Empêtré dans ce mal extrême, le Sahel est aussi devenu l’épicentre mondial de la prise du pouvoir d’état par les armes (putsch militaire). Dans les cinq pays de l’ex G-5 Sahel, rien que ces trois dernières années (aout 2020 à aout 2023), il y a eu plus de putschs que de nombre de pays, sans compter les tentatives étouffées ou échouées. La nouveauté, c’est qu’il s’agit d’un putschisme décomplexé et revendiqué, fier et expansif, allant à la conquête des pays voisins, défiant les organisations et institutions internationales, de l’UEMOA à l’ONU. Il peut surfer sur une popularité générée par du ressentiment anti-français, ressentiment qui déborde et étouffe l’anti-impérialisme structuré et méthodique, "trop lent" et "trop civilisé". Les penchants pro-russes seraient non déterminants, a priori, plutôt opportunistes et parasites de crise.

 

Ce qui se passe au Gabon vient en renfort du modèle tchadien (avril 2021) mais aussi de celui guinéen (septembre 2021). Esseulé quant à son habillage « idéologique » dans l’espace CEDEAO, le régime guinéen joue la reine-désirée face aux suggestions et sollicitations des anti-impérialistes anti-français. Pour n’y prendre aucun risque, il a interdit toute manifestation, y compris en sa faveur à l’occasion de son deuxième "putsch-anniversaire". Ces modèles s’apparentent à des aménagements pare-feu prémédités ou opportunément assumés, des stops à d’éventuels putschs de proclamation "anti-impérialistes", dont la polarisation est virale de nos jours, et parfois hystérique.

 

Pratiquement tous les modèles de coups d’état militaires, depuis la conférence de la Baule en juin 1990 (France) sont d’ancrage et d’amorces locaux[i]. Ainsi, ils ont toujours une marge de popularité latente, activée ou révélée après coup, et un certain potentiel de propagation. Le sens des "liesses populaires" est donc équivoque et incertain, et l’espoir que ce serait le dernier coup d’état militaire est régulièrement déçu, et reporté.

 

Cas Niger, risques de putschisme infernal

 

La situation au Niger est telle qu’il n’y a pas de solution convenable, c’est-à-dire, sans risques armés majeurs dans l’immédiat ou à moyen terme : soit il y a une intervention militaire pour retirer le pouvoir des mains de la Garde présidentielle, tout risque immédiat compris, soit on ne fait rien et l’effet domino se poursuit, avec du putschisme ragaillardi, fièrement expansif, relayé par l’onctueuse écume contre la France et tout ce qui lui ressemble, après Bazoum : le "président" de la CEDEAO, Tinubu (au Nigeria), Ouattara (en Côte d’Ivoire), Sall (au Sénégal), ou le Gl Tchani lui-même (au Niger) au regard de sa trajectoire. Là également, c’est tout risque compris, sauf qu’il est différé.

 

En effet, tout coup d’état est aussi un départ possible de guerre civile ou de rébellion. La rébellion en Côte d’Ivoire (une dizaine d’années de crise mortifère) est partie d’un putsch échoué (septembre 2002) contre le régime de Gbagbo. Idem en Centrafrique, après le coup d’état de François Bozizé en 2003, la rébellion Séléka (de Michel Djotodia) puis les "milices d’auto-défense" anti-Balaka et toutes leurs horreurs[ii]. La Centrafrique de nos jours, avec Wagner, rappelle les Comores de la fin des années 1970, avec Bob Denard et ses mercenaires: une profonde humiliation des populations de ces pays. C’est aussi ce qui s’est toujours passé au Tchad où aucun coup d’état ou rébellion victorieuse n’a réussi à rallier, même provisoirement, toute l’armée, d’où l’existence permanente de rebelles armés dans ce pays. C’est également ce qui se passe de nos jours au Soudan. Ce n’est pas pour rien que dans certains cas, ces putschs commencent par une mutinerie, trainent parfois plusieurs jours avant de se finaliser officiellement comme tel.

 

Chez nous (Burkina), dans l’espace public, c’est comme si le putschisme était devenu une règle normale d’accès au pouvoir d’état. On rencontre dans les propos, encore et toujours, des relents et de la logique putschistes, parfois explicites. Comme toujours, derrière les motivations, accusations et autres bonnes raisons "objectives" se cachent mal les ambitions illégales et illégitimes, des motivations personnelles et subjectives.

 

Le déterminisme du putsch est en dernier ressort, subjectif

 

Il y a toujours des causes objectives à n’importe quelle prise du pouvoir par les armes et par complot (mal gouvernance, long règne, crise sécuritaire, etc.). Cela est vrai de l’assassinat de Olympio (Togo, janvier 1963) à la mise à l’écart de Bongo-fils du pouvoir (Gabon, août 2023), en passant par l’assassinat de Sankara (modèle reconnu vertueux), et la séquestration de Bazoum, en son début de 1er mandat. En vérité, nulle part au monde, il ne manquerait des justificatifs "valables" pour enrober un coup d’état ; que ce soit en France ou alliés, en Russie ou alliés. C’est dire que si ces "causes objectives" devaient chaque fois entrainer des coups d’état militaires, ce serait la barbarie généralisée. Ce risque s’accroit au Sahel, avec ces coups d’état lâches et éhontés (par les Gardes présidentielles), conjugués aux visées des hydres terroristes qui lorgnent avec insistance nos pays, et salivent de la chienlit qui s’y installe.

 

Dans ce genre de situations, il y a-t-il encore un intérêt à rechercher et à étudier les "causes objectives" des putschs, ou leur trouver des justifications après coup, dans les mêmes termes ? Quelle serait leur valeur d’usage sociopolitique ? Par exemple, peut-on y trouver des réponses à la question : comment les prévenir ou comment les vaincre définitivement ? Ou encore, que doit faire (ou ne pas faire) un régime (ou un Chef d’état), comment, quand, etc. pour être "sûr et certain" qu’il n’y aura pas de putsch militaire, y compris par sa propre Garde ? On sait seulement que c’est mal, un « crime imprescriptible contre le peuple malien », par exemple. On sait aussi que la gouvernance vertueuse, les bons résultats sécuritaires ne les empêchent pas de "tomber", et au cours de n’importe quel mandat.

 

En revanche, une cause subjective est commune à la plupart des putschs, historiquement, et à tous les derniers, depuis 2020 dans les pays du Sahel : c’est l’existence d’ambitions et de prétentions hors constitution (les règles en place pour tous). Ces ambitions et prétentions nourries par des clans armés complotant pour le pouvoir d’état sont sans équivoque, illégales et illégitimes. Le coup d’état au Niger en est une révélation claire et nette, sans ambages. A contrario du cas Niger, on peut invoquer les échecs des appels à insurrection et à putsch au Sénégal. Emaillés de violences absurdes (comme ce cocktail Molotov jeté dans un bus de transport en commun), et malgré la popularité des appelants, ces appels ne semblent pas trouver de répondant, dans l’armée ou en les citoyens (à un niveau critique). Bien au contraire, les institutions judiciaires en ont tiré les conséquences de droit, advienne que pourra. C’est le constat actuel.

 

La survenue des putschs tient donc fondamentalement de ce facteur subjectif ou assimilé, sans lequel, il n’y aurait même pas de tentative de putsch, n’en parlons pas de putsch réussi. Tout le reste est prétexte et enrobage face à une infraction au droit naturel des peuples, évoqué ci-haut. Et aucune armée, encore moins l’une quelconque de ses fractions, ne saurait faire office de peuple (ou de mandataire du peuple) dans un pays. L’accréditer revient à faire le jeu des voies de faits (par des armes de service public) autour du pouvoir d’état. Les conséquences sont l’instabilité immobilisante bien que consommatrice d’énergie, les incertitudes politiques et socio-économiques. On croit avancer mais on stagne, pendant que les autres du monde avancent dans un temps qui passe sans jamais repasser.

 

La balle aux citoyens et aux institutions

 

Matériellement, on ne peut ni empêcher l’existence de ces ambitions, ni toutes les détecter. Ce sont les ripostes déjà éprouvées, leurs robustesses, qui créditent celles prépositionnées (latentes) des institutions (Trump est en procès aux USA, Wagner en sait quelque chose en Russie). Ce sont ces forces qui peuvent contrarier les ambitions illégales et illégitimes, et les vaincre matériellement lorsqu’elles passent à l’acte (coup d’état). Cette force des institutions se conjugue avec celle des citoyens (individuels et collectifs) éclairés et mobilisés pour prévenir durablement et installer des crans anti-retours contre le putschisme.

 

Cela est possible, y compris en Afrique et au Sahel. On peut bel et bien, sans putsch, surmonter une grave crise nationale ou un blocage institutionnel, débarquer avant-terme convenu un régime dangereusement défaillant : l’Afrique du Sud en a donné deux exemples, le remplacement de Béki (désavoué par son parti, l’ANC, en 2008), puis de Zouma (également désavoué par l’ANC, en 2018), sans coup d’état ; et chez nous (Burkina), en deux générations, notre pays a vécu des mouvements populaires victorieux : pour débarquer un régime constitutionnel en place pour mauvaise gestion (janvier 1966), contre l’instauration du parti unique par un régime militaire (décembre 1975), contre un putsch militaire (septembre 2015), etc. On peut également évoquer les contestations de nominations de ministres : deux sous la Transition de 2015 et deux autres sous la transition en cours depuis octobre 2022. Tous ont été en fin de compte limogés. Il en est de même de certaines nominations de directeurs généraux (au CENOU en octobre 2016 et à l’ONEA en juillet 2023, entre autres). Même si tous ces mouvements n’ont pas tenu durablement leur promesse (contre la mal gouvernance et le putschisme notamment), ils sont inscrits dans l’histoire comme précédents pouvant émuler et embraser les esprits contre le putschisme. Ce sont des sources d’inspiration et autant d’indications pour un travail à faire, et de son sens.

 

Néanmoins, comment tactiquement rechercher (explorer), exalter et exploiter, malgré tout, les opportunités[iii] d’une voie de fait (putsch) qui s’impose au pays ? Il le faut ! Et stratégiquement comment renvoyer la balle aux citoyens (populations, peuples, masses populaires, etc.) contre le putschisme ? Il le faut également, et encore plus ! Ces citoyens individuels et collectifs sont les seuls, en dernier ressort (la valeur et la robustesse des institutions s’y appuient), qui seraient à même de faire face, tout à la fois, à la mal gouvernance et à sa quintessence, le putschisme, par la qualité et l’intensité de ses interactions. Et c’est là où l’on trébuche souvent.

 

Dans l’appréciation du putsch au Niger, plus que le ‘pro-Tchani’ ou plus largement, le pro-putsch, c’est ‘anti-Bazoum’ qui est la principale motivation apparente de beaucoup de soutiens. Quid de sa gouvernance (résultats économiques et lutte contre la corruption) et, surtout, de ses résultats contre le terrorisme tous documentés et publics.

 

A une échelle citoyenne individuelle, après le putsch du MPSR 1, quelques facebookeurs ont pu certainement lire (comme moi) un ‘post’ où l’auteur, tout en se disant convaincu que le putsch n’est pas une bonne chose, était néanmoins content ou satisfait parce « Ouaro est parti ». Ce genre de motifs de satisfaction (ou d’insatisfaction) est courant chez des citoyens et régulièrement exprimé sur les réseaux sociaux, un référentiel comme un autre, une tribune comme une autre, peut-être même plus. Il est difficile d’en mesurer la portée générale. Dans l’exemple présent, il s’agirait d’un simple défoulement, ou d’une griffure contre ce qui s’appelait, la "Ouaro-gang". Mais plus sérieusement, vis-à-vis du sort de tout un pays, un ressentiment contre (ou pour) une personne (soit-elle ex-ministre) doit-il prendre le pas sur les considérations légalistes et de principes, et déterminer une expression publique de satisfaction/insatisfaction ? Voilà, encore une fois, là où on trébuche souvent, trop souvent : comment dominer, par un niveau plus élevé de prise de conscience, et dépasser un ressentiment personnel (subjectif) pour ou contre une personne en particulier, sur des questions nationales, d’intérêt général ? En paroles, pratiquement tout le monde affirme et reconnait le bien-fondé de ce de ce jeu des dépassements émotionnels. Mais jusques et y compris au sommet de l’état, peu de gens le font (ou le réussissent) en situation d’épreuve[iv].

 

Il s’agirait aussi, parallèlement et concomitamment à cet effort de domination des ressentiments, d’examiner les faits et les données (sur la place publique). On ne cessera de le répéter, si le putschisme était ce qu’il nous fallait, on l’aurait su depuis tout le temps qu’on en fait et qu’on en vit. En nombre de régimes issus de putschs et en durée cumulée de règnes, notre pays[v], ceux du Sahel et du continent (depuis leurs indépendances) ont très peu à "envier" aux autres, à travers le monde.

 

Mais hélas !

 

Au bilan, pour les indicateurs sociaux (en dehors de la sécurité qui reste l’obsession présente au Sahel), c’est l’inertie par rapport aux autres pays du monde, comme déjà dit. Là où nos pays croient progresser, les autres font toujours mieux, et pour cause ! Sur l’Indice de développement humain (IDH), par exemple, sur les 191 pays classés en 2022, il n’y a aucun africain parmi les 50 premiers. Le 1er africain, l’Ile Maurice, est 63ème, l’Afrique du Sud, 109ème. L’Ethiopie (jamais colonisée) est 175ème. En revanche, à la queue, parmi les 50 derniers, il y a 38 pays africains (28 parmi les 30 derniers, les non-africains étant Haïti et l’Afghanistan). Dans les cinq derniers rapports (2018 à 2022), les 4 pays du Sahel où sont survenus des putschs (depuis 2020) sont classés parmi les 09 derniers. En matière de durée de scolarisation[vi], le Mali, le Tchad, le Niger et le Burkina se bousculent seuls à la queue des classements mondiaux. Evidemment, le putschisme n’est pas seul en cause. Mais c’est sûr, s’il avait une valeur d’amélioration de nos indicateurs sociaux et sécuritaire, et de nos situations générales, on l’aurait su.

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[i] Les putschs fomentés par des réseaux Foccart et autres, la légion, les mercenaires à la Bob Denard, etc. ne sont plus de mise, depuis cette conférence.

 

[ii] Un des chefs des anti-balaka, Maxime Mokom, fait face actuellement à une vingtaine de chefs d’accusation dont « "crimes de guerre" et "crimes contre l’humanité" pour des atrocités commises en 2013 et 2014, parmi lesquels des attaques dirigées contre des civils, des meurtres, des viols, des pillages et des attaques contre des mosquées. » (https://www.lemonde.fr/afrique/article/2023/08/22/centrafrique-les-procureurs-de-la-cour-penale-internationale-plaident-contre-un-ex-chef-anti-balaka_6186162_3212.html).

 

[iii] L’éveil à la vie publique de certaines couches populaires, jusque-là indifférentes, est une opportunité. De même, certaines décisions différées ou ralenties pour cause de calculs électoralistes, peuvent être mises en œuvre, éventuellement, en période d’état d’exception. Mais à condition que les acteurs du moment soient eux-mêmes sans arrière calculs politiciens.

 

[iv] Hors épreuve, les intentions déclarées ne valent pas encore grand-chose, ni en soi-même, ni en direction des autres.

 

[v] Au Burkina, sur un total de 11 accès au pouvoir, 06 l’ont été directement par coup d’état. Deux coups d’état ont été de maintien (et non d’accès) au pouvoir (février 1974 et mai 1983). Sur la durée de règne, les régimes militaires ont gouverné pendant 50 ans sur les 63 ans d’indépendance. Et la tendance est à la hausse.

 

[vi] Nombre moyen d’années d’études complétées par la population âgée de 25 ans et plus d’un pays donné, excluant les années passées en redoublement (https://uis.unesco.org/fr/glossary-term/duree-moyenne-de-scolarisation)



11/09/2023
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