Youssoufou Ouédraogo

Youssoufou Ouédraogo

Journée nationale du pardon

Une tribune de mars 2001 publiée dans L'Indépendant

 

Le débat national est actuellement polarisé sur la Journée nationale du pardon (JNP) et ses collatérales. Chacun y va de sa compréhension, de son adhésion et des ses espoirs, de son rejet et de ses craintes. Même les reformes institutionnelles entreprises, sous la houlette du gouvernement, par certains partis politiques, sont passées inaperçues, malgré la proposition du bulletin unique (un progrès notable, s'il est adopté, puisqu'il avait été rejeté par la Commission des reformes politiques et institutionnelles). Mais la préoccupation des populations pourrait se situer ailleurs : l'épidémie de méningite qui "reste alarmant" comme le reconnaît le ministre de la santé. Mon propos se veut un plaidoyer pour le report de cette manifestation, pour cause d'épidémie méningite. A l'occasion, je donnerai mon point de vue sur cette JNP, qui ne me paraît pas si urgent que ça, même si on veut profiter de la période de carême des catholiques, comme le spéculent certaines personnes bien avisées. C'est après tout, une "décision politique" d'un Etat laïc.

 

De ce que j'ai compris :

 

  • le pardon sera demandé par le gouvernement (l'Exécutif) pour toutes les fautes commises, sous tous les gouvernements précédents, depuis l'Indépendance ;

 

  • la demande de pardon sera reçue et le pardon accordé, au nom du peuple Burkinabè, par les participants qui viendront de toutes les couches socioprofessionnelles et des quatre coins du pays.

 

Sur le premier point, l'Exécutif peut-il, légitimement, prendre en charge des fautes individuelles de citoyens (quelle que soit leur relation d'avec le pouvoir), comme c'est le cas pour celles qui ont donné naissance et entretiennent la crise qui nous préoccupe ? Ma réponse est non ! Une décision administrative, même de légalité discutable (privatisation, lotissement, sanctions administratives), ayant porté préjudice à un ou plusieurs citoyens ne doit pas se gérer comme une disparition ou un assassinat prémédité ! A mon sens, aucune interprétation d'aucun texte officiel ne permet d'inclure l'assassinat prémédité dans les prérogatives de l'Etat (y compris d'exception), même élargies aux "excès de zèle" et aux erreurs y relatives : c'est une faute individuelle que l'Etat ne peut pas moralement endosser sans conditions, au point d'en vouloir demander pardon, toujours sans conditions ! Autrement, il n'y a plus qu'à fermer les prisons et que l'Etat paye pour tous les voleurs, les coupeurs de routes et de têtes. Je pense que l'Etat, bien au contraire, en est aussi une victime. Autre considération : est-il logique de mettre des fautes multiformes et diverses (dans leur nature et leur gravité) sur le même pied d'égalité, et, par voie de conséquence, les démarches y relatives pour demander pardon ? Ma réponse est encore non ! Si on prend la gamme des préjudices individuellement subis : l'exclusion d'un élève pour grève ne doit pas être prise de la même façon que le licenciement d'un chef de famille, pour la même cause ! Et ce dernier cas est différent d'une mise à la retraite d'office parce que "sa gueule ne plait pas", elle-même différente de tortures subies, qui, non plus, ne sauraient se régler de la même façon qu'une bavure mortelle, encore moins, comme un assassinat prémédité… Dans la gamme des préjudices faits aux collectivités locales ou à la Nation entière, est-il logique de mettre sur le même pied un détournement de quelques pneus de charrettes et un autre, de 800 millions (environ 0,2% du budget national) ? Je pense qu'il faut sérier, hiérarchiser et affecter à chaque catégorie et classe de fautes, une démarche spécifique. Distinguer les fautes de l'Etat et les fautes individuelles de citoyens, d'une part, distinguer les crimes divers et les crimes de sang, d'autre part. On pourrait y faire autant de subdivisions que souhaitées, mais l'essentiel, c'est de ne pas, par la même démarche, demander pardon, tout à la fois, à celui qui a reçu une gifle et à un autre qui a reçu des balles ou qui a été brûlé à mort ; tout à la fois à celui qui connaît ce qui s'est passé et à celui qui est dans le noir total. Le processus de pardon, d'apaisement des cœurs, n'est pas un sprint ou un critérium mais une course de fond, un Tour du Faso. La prime à l'arrivée, s'il y en a, ne sera pour personne, en particulier, mais pour tout le pays ! Il faut prendre la peine de mûrir ce qui est aujourd'hui décidé, et de l'offrir par la suite, en proposition !

 

Sur le deuxième point, il faut appliquer aussi la même logique : personne ne peut offrir un pardon qu'il ne lui appartient pas d'offrir, comme disait le Président algérien. Et dans cette approche spécifique de la réception de la demande du pardon et de l'accord du pardon, interviennent des considérations subjectives (personnalité, valeurs guides, vécu individuel…), impossibles à mettre en équation. Il y en a qui sont prêts à offrir leur pardon sans conditions, comme M. GUISSOU qui a rapidement "oublié les visages de ses tortionnaires !" Encore que rien ne dit qu'il aurait "oublié" tout aussi facilement s'il avait perdu un parent direct ! Que sa famille aurait "oublié" aussi rapidement si lui-même avait été... ? Je cite cet exemple parce qu'il a été publiquement dit, sinon il y a certainement "mieux". Mais cela ne peut pas et ne doit pas occulter le fait qu'il y ait des gens qui, avant de pardonner, voudrait bien comprendre ce qui s'est passé, savoir quels ont été le scénario et les acteurs de leurs drames personnels que nul autre ne peut vivre mieux qu’eux-mêmes ! Comme dit un proverbe Mossi : on a beau compatir à une douleur, on ne peut pas en souffrir autant que la victime. D'autres, même après toute la vérité, ne pourraient pardonner qu'avec le temps, en fonction du comportement (réhabilitant ou pas) de la partie fautive. Tout cela est humain et se rencontre dans notre vie de tous les jours. L'essentiel c'est d'emmener chacun à se déterminer en connaissance de cause et pour cela il faut, entre autres, de la lumière sur les faits (par la justice ou par la repentance spontanée). "Forcer" des réparations de préjudices (en donnant de l'argent par exemple), parce que les victimes ont faim, ont peur et/ou sont faibles, ne constituerait qu'une anesthésie transitoire au réveil très douloureux qui irradiera dans l'ensemble du corps social.

 

Au total, pour moi,

 

  • l'Exécutif demande aux victimes de se noyer dans la masse pour recevoir une demande et accorder éventuellement leur pardon ;

 

  • l'Exécutif prend sur lui de représenter "ceux qui ont fauté", certains sont toujours cagoulés, pour demander et recevoir éventuellement, pour eux, le pardon.

 

Sur ce dernier point, c'est l'inverse qui devrait se faire : les fautifs divers identifiés (ou se découvrant) et repentants qui viennent s'agenouiller et demander pardon devant l'Exécutif, censé représenter les victimes, les collectivités et/ou la nation spoliées. C'est à l'image de la grâce présidentielle qui peut être demandée et accordée à n'importe quel citoyen fautif.

 

Si l'objectif réel de cette JNP est ce qui se dit et s'écrit, il y a peu de chance qu'il soit atteint ; bien au contraire, le risque existe de s'en éloigner davantage. Compte tenu de ces considérations, je pense qu'il reste beaucoup de travail à faire pour "cartographier" le chemin du pardon, parce qu'encore une fois, les émotions (joies et tristesses, les peines de l'âme, la paix des cœurs…) ne se commandent pas, comme l'ont rappelé beaucoup d'autres avant moi.

 

M'adressant aux victimes, courant janvier 99, j'écrivais ceci : …les veuves, les orphelins et toutes les autres victimes des violences politiques doivent extirper les sanglots anesthésiants de leur gorge et s'organiser ; se donner une noble raison de faire vivre en eux leurs disparus ; faire le deuil de leurs peurs éventuelles et penser aux mères des disparus d'Argentine qui ont réussi à envoyer des Généraux devant les tribunaux et derrière les barreaux ; faire de la lumière sur leurs défunts pères, maris ou fils, une motivation d'espoir. Que sans haine paralysante ou destructrice, mais avec fermeté, les tortionnaires, les brûleurs, les mangeurs de vies... soient mis à l'écart de la société. Sans être dans la peau de qui que ce soit, je pense que cela est toujours d'actualité car, nul autre citoyen (ou organisation) ne peut traduire mieux que les victimes elles-mêmes (et leurs conseils -au sens large- éventuels), leurs émotions.

Mais tout cela est une simple contribution préalable aux débats sur cette JNP, essentiellement destinée aux pouvoirs publics, avant d'en arriver à ce qui m'a poussé au clavier : ma suggestion de report de ladite manifestation, pour cause d'épidémie de méningite.

 

Je pense qu'il y a péril à la demeure concernant l'épidémie de méningites qui, en réalité me paraît plus grave que la précédente : en 1996, je ne me souviens pas des chiffres exacts mais le taux de mortalité tournait autour de 11%. Pour l'épidémie actuelle, on parle de 719 décès pour 4350 cas, soit un taux de mortalité de 16,5%. C'est donc une aggravation de 5,5 points, relativement à celle de 1996. Pourquoi ? Est-ce que la souche est plus virulente ? Les conditions de prise en charge se sont-elles dégradées entre temps ? Les Burkinabè sont-ils devenus moins résistants et dans ce cas, pourquoi ? Pire ! Si on veut affiner l'appréciation de l'urgence, il y a moins d'une semaine, à la télé, le Secrétaire général du ministère de la santé parlait d'environ 500 décès pour environ 4000 cas, soit un taux de mortalité d'environ 12,5% ; c'est dire qu'en l'espace d'une semaine, le taux de mortalité aurait (j'insiste sur le conditionnel) évolué de 4 points alors que l'épidémie n'a pas encore touché les zones de grande famine : le Centre, le Nord et le Sahel où, vraisemblablement, les populations sont plus fragiles et particulièrement fragilisées cette année. Qu'en serait-il en ce moment ? C'est dire donc qu'il faut tout faire, et vite, pour empêcher qu'une telle éventualité ne devienne une réalité.

 

PS: remplacer "épidémie de méningite" et ses chiffres par "menace terroriste", ses conséquences actuelles et ses projections.



27/07/2022
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