Youssoufou Ouédraogo

Youssoufou Ouédraogo

La cohésion nationale en question.

Tribune de février 2010, dans L'événement

 

Un cycle électoral est entrain de s'installer dans notre pays et on connaît les risques liés à ces périodes. La situation au sein des forces au pouvoir fait l'objet de spéculations où toutes les hypothèses sont permises. Du côté de l'Opposition, les déclarations martiales se font de plus en plus entendre. Et, comme à chaque crise ou tension sociopolitique, on constatera que pour certains acteurs et détenteurs de la puissance publique, le potentiel d'intolérance reste intact, juste masqué pour les formalités de l'État de droit.

 

Après l'échec d'une première tentative de réconciliation nationale, puis l'organisation unilatérale d'une Journée nationale de pardon (JNP), une bipolarisation récemment marquée de la symbolique du 15 Octobre, un peu moins en 2009, le moins que l'on puisse dire, pour le cycle électoral à venir, c'est gare à la cohésion nationale !

 

Quelques rappels

 

Dans l'histoire post-coloniale de notre pays, comme partout ailleurs, il y a régulièrement eu des bouffées de fièvres dont certaines ont débouché sur des changements de régime. Ces bouffées nous valent, en 50 ans d'indépendance, cinq États d'exception et quatre Républiques. La 2ème et la 3ème Républiques, avec, respectivement, 4 et 3 ans de durée, n'ont même pas réussi à boucler un cycle électoral chacun et n'ont eu, ensemble, qu'une seule et même personnalité comme Président. On remarquera que s'il y a eu des coups d'État sans changement de Président, il n'y a pas encore eu de changement de Président sans coup d'État.

 

Si l'on considère les 3 périodes de la vie politique d'après indépendance (avant, pendant et après la Révolution), ces bouffées de fièvre ne sont pas propres à une période ou à une autre. Elles ne sont pas non plus, le fait d'un courant politique ou idéologique en particulier, pour autant que l'on puisse les discriminer. La différence essentielle réside dans le niveau de violence qui a atteint le seuil de l'irréparable qu'est l'assassinat à partir de la Révolution. C'est à partir de là que les problèmes de réconciliation ont commencé à se poser de façon hautement plus préoccupante : la profondeur et la rémanence de la fracture qu'un assassinat peut générer sont d'une autre dimension, tant en lui-même qu'en ce qu'il peut habiliter et valider comme formes de traitement des divergences politiques. Ainsi, de fracture en fracture, la Révolution a montré non seulement ses propres limites mais, aussi, celles des États d'exception en général, en matière de cohésion et de mobilisation sociales pour l'épanouissement des citoyens. Épanouissement qui reste, faut-il le rappeler, la finalité de tous les systèmes politiques.

Le communiqué n°51 du Front Populaire (FP), puis le retour à l'État de droit déclenché en 1990, avaient redonné des espoirs en matière de colmatage de ces fractures sociales successives et relancé les mobilisations civiques et politiques pour un État de droit.

 

Dans cette transition vers un État de droit, l'Opposition est rentrée par une "symphonie à deux voix2" : celle de la Droite reconnaissante envers le FP réparateur de tant de torts, et celle de la Gauche vindicative envers le même FP, générateur de tant de torts. Puis ce fut le spectacle tantôt réconfortant, tantôt désespérant, faite de coalitions, compositions et décompositions des formations politiques, et de mutations et permutations des acteurs politiques individuels.

 

Dans la confusion et les incertitudes quant aux rapports de forces entre les partisans et les adversaires d'une conférence nationale souveraine, de nouvelles violences se sont ajoutées à celles en cours de réparation. La solution alors trouvé fut le Forum de Réconciliation Nationale.

 

Forum de réconciliation nationale

 

C'était la première tentative de réconciliation d'envergure nationale après les violences des périodes révolutionnaires et suivantes. Avec sa suspension sine die en février 1992, ce fut aussi le premier échec, d'autant plus retentissant que les espoirs suscités étaient énormes. C'était après dix jours de recherches infructueuses de consensus autour de sa gestion médiatique.

 

Ce forum avait été convoqué deux mois après ce que certains ont appelé "la nuit des longs couteaux" : alors qu'on était virtuellement dans un État de droit, un responsable de parti politique est assassiné, et d'autres personnalités politiques, pourchassées ou blessées. Pour ce qu'on sait à travers les médias, les victimes étaient des cibles clairement politiques, tous enseignants d'université qui n'avaient que la puissance de leur pensée comme arme politique. Pour l'ensemble des faits susceptibles d'inspirer un Forum de réconciliation nationale, il n'est plus utile de spéculer sur l'opportunité ou non de la période choisie. Mais sur ces événements ayant inspiré le Forum, le réflexe propre à l'État de droit (objectiver la vérité et rendre justice) ne semblait pas être pris en compte. La situation de l'époque et les questions en débat étaient génératrices de fortes émotions et de pressants calculs politiques liés aux élections annoncées. Dans ces conditions, dix jours d'échec quant à l'obtention d'un consensus n'étaient certainement pas suffisants pour conclure à l'impossibilité d'un consensus et, en la matière, un pays n'est pas à des jours près. Erreur d'appréciation ou calcul machiavélique, toujours est-il que le Burkina Faso politique a vendangé une bonne occasion de réconcilier les fils du pays.

 

Et voilà qu'à peine bouclé un cycle électoral, survient l'assassinat de Norbert ZONGO qui, également, n'avait que la puissance de sa pensée comme arme. Dans les tentatives de sortir le pays de la crise sans précédent qui s'en est suivie, une Journée Nationale du Pardon est organisée en fin mars 2001.

 

Les Journées Nationales du Pardon

 

La journée nationale du pardon (JNP) rappelle inévitablement à la mémoire, l'échec du Forum de Réconciliation Nationale. Mais au contraire de ce dernier, elle avait le handicap de ne pas faire l'unanimité au sein des parties prenantes essentielles: victimes emblématiques et Collectif contre l'impunité, d'un côté, le pouvoir et ses partisans, de l'autre.

 

La JNP a été inspirée par les travaux du Collège des sages qui "recommande que l'application de la catharsis commence par… le Président du Faso (qui) pourrait pour cela, dans un discours bref et solennel déclarer face à la Nation qu'en tant que premier responsable :

 

  • il assume l'entière responsabilité de ce qui s'est passé et qui traumatise notre peuple ;

 

  • il demande pardon au peuple ;

 

  • il promet que de telles pratiques n'auront plus cours ;

 

  • il s'engage à travailler à l'avènement d'une société plus humanisée et plus consensuelle."

 

Aussi, le "plus jamais ça" de la première édition devait marquer, dans les esprits et les faits, la fin des violences politiques, la fin des comportements susceptibles de les générer au profit de comportements préventifs et correctifs : la recherche du consensus au détriment du passage en force, par exemple.

Mais les concepts de pardon et les voies et moyens pour y parvenir, théorisés par les partisans du pouvoir étaient biaisés et suffisamment injustes: tout le monde était censé demander pardon à tout le monde, se réconcilier avec tout le monde, et tous les régimes successifs étaient rendus coresponsables de tout, etc. La vérité sur les nombreux faits similaires antérieurs et les responsabilités, toute chose préalable à un pardon, ont été escamotées ou renvoyées à plus tard. Dans cet amalgame de concepts et de valeurs pour diluer les responsabilités, ce qui était proposé par le Collège des sages comme un commencement est devenu un couronnement dans l'urgence, comme si en matière de réconciliation et de pardon, le pays était à quelques semaines près !

 

A présent que faut-il retenir de la JNP comme leçon, pour quoi faire et pour qui être, sous l'angle du rôle de la violence et du rapport de force versus débats, consensus et légalité dans nos modes de gouvernances (politique, sociale, économique, etc.) ? En particulier, que peut-on dégager a posteriori de ce discours doré de la JNP, adressé tout à la fois à ceux qui reconnaissent et respectent la valeur de l'or et à ceux qui la méconnaissent et la méprisent. Le célèbre chorégraphe américain3 disait à peu près que "si vous regardez marcher une girafe et vous vous étonnez qu'elle ne marche pas comme un chien, alors il vous manque quelque chose". La JNP était un impossible défilé de "girafes" et de "chiens". Au fil du temps et de l'évolution de la crise, le vrai défilé et son donneur de rythme se sont révélés et tentent d'en imposer à la communauté nationale.

 

Actuellement, la fièvre de la crise est tombée et le pays s'est remis en état de marche "cahin caha, plutôt caha que cahin"4. Les élections législatives consensuelles, par une CENI consensuelle, à l'aide d'un Code électoral consensuel, avaient permis d'enrichir le paysage politique au cours de la 3ème législature (2002-2007), de nouvelles têtes ont émergé sur la scène publique et le débat semblait promis à un bel avenir. Et depuis deux ans, les conditions pour faire des affaires se seraient nettement améliorées et, dans la morosité ambiante, les affaires semblent bien prospérer pour certains.

 

Mais voila que les théoriciens du protocole (de gouvernement) ont été écartés du gouvernement postélectoral de 2006, malgré les efforts qu'ils ont consentis pour affaiblir et démobiliser le Collectif et le Groupe du 14 février, malgré le fait qu'ils souhaitaient légitimement poursuivre l'expérience de la démocratie consensuelle, comme promis en fin 20005. Le code électoral consensuel est révisé, sans consensus, pour recréer les bases du tuk-guili opéré en 2007. Les députés des petits partis d'opposition sont, un à un, arrimés à la majorité à la faveur d'une véritable banque de "mouvanciers", recevant et créditant toutes sortes de "monnaies et de devises" s'y positionnant chacune comme elle peut, pour y avoir une bonne cotation. Et comme par enchantement, certains partis d'opposition ayant une certaine consistance se rallient au pouvoir, sont déchirés et leurs leaders, discrédités par des scandales de gros sous.

 

Les dossiers pendants pendent toujours, aussi bien dans les circuits judiciaires et administratifs que, surtout, dans les mentalités des Burkinabè mais certainement pas seulement. Cela, à l'instar des problèmes d'efficacité et de crédibilité de la justice, à l'instar des problèmes de neutralité des moyens de l'administration publique vis-à-vis des campagnes électorales et autres activités politiques. Les célébrations du 15 octobre 2007 et 2008 ont mis à nu l'hypocrisie de plus d'une larme versée à l'occasion des préparatifs et du déroulement de la JNP. Le simple respect de la douleur d'une partie de la population ne semblait même plus à l'ordre du jour pour certains.

 

Et pour couronner le tout, c'est l'article 37 de la Constitution, modifié en 1997 puis restauré en 2000 sur recommandation du Collège des sages, qui est de nos jours jeté en pâture aux détaillants et autres esprits courts.

 

Au total, deux crises majeures et deux solutions ratées : l'une interrompue avant même d'avoir commencé et l'autre, biaisée au départ puis, avec le temps, complètement évidée. Les sources de violences politiques n'ont pas suffisamment reculé et sont loin d'être bannis des esprits de certains hauts fonctionnaires, responsables politiques et détenteurs de la puissance publique. Bien au contraire, l'insouciance sociale, économique et politique et les mauvaises habitudes semblent avoir repris le dessus.

 

Il est connu qu'au sein du Collectif, il y avait deux tendances quant à l'orientation stratégique de la lutte contre l'impunité : celle qui consistait à résoudre la crise en dehors de l'État de droit (tékré, coup d'Etat démocratique, etc. en ont été des expressions publiques) et celle qui consistait à trouver une solution à la crise dans le cadre de l'État de droit. C'est manifestement cette dernière tendance qui a triomphé et imposé ses options à la vie et à la lutte du Collectif. L'État de droit et ses animateurs-bénéficiaires doivent faire en sorte que ceux qui ont soutenu et défendu cette option n'aient pas à se désoler et à regretter. Autrement, l'idée qu'il faille chercher et trouver en la 4ème République les solutions à une crise nationale qui surviendrait au Burkina serait caduque. Il resterait alors les autres possibilités, et on ne les connaît que trop bien !

 

Publié sous le pseudonyme "Sibougo"

 

1 Diffusé le 15 Octobre 1987, il levait virtuellement l'essentiel des sanctions prises pendant la Révolution.

2 C'est le titre d'un court métrage d'un compatriote sur les enfants issus des 'couples mixtes' en Union Soviétique

3 Merce CUNNINGHAM, propos tenus sur TV5 le 8 novembre 2001 et cités de mémoire

4 Expression du Pr KI-Zerbo vers la fin des années 1970, citée de mémoire.

5 Dans son discours du 10 décembre 2000, le Chef d'État avait parlé "d'engager une nouvelle décennie de démocratie consensuelle", soit jusqu'en 2010, au moins.



27/07/2022
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