Youssoufou Ouédraogo

Youssoufou Ouédraogo

Inhibition latérale, en biologie comme en société

Il existe des similitudes entre certains mécanismes de fonctionnement d’un organisme biologique (individuel) et ceux d’un organisme social (collectif). Par exemple, l’inhibition latérale.

 

Dans l'organisme

 

Par ex., si on considère une zone sensible d’une certaine taille, il existe des mécanismes et circuits nerveux pouvant inhiber les sensations tout autour d'un point donné de ladite zone. Seule ce point demeure alors sensible (capable de répondre) aux stimulations éventuelles. Ce qui est intéressant lorsque la stimulation tombe sur une zone peu excitable ou à faible densité de récepteurs ad hoc. En ce moment, même si la réponse du point non-inhibé est faible (valeur absolue), elle peut être détectée, perçue de façon différentielle (valeur relative). Ce modèle est celui du codage nerveux permettant d'indiquer plus ou moins précisément la localisation d'une stimulation. Mais des inhibitions latérales, il en existe ailleurs dans l'organisme vivant ; entre autres, en génétique dans les expressions parfois compétitives des gènes, dans la vision où elles permettent de "calculer" les couleurs et leurs nuances.

 

Au foot et au scrabble

 

Au football, l’inhibition latérale correspondrait au catenaccio, inventé en 1931 en Suisse et popularisé à partir des années 1960 en Italie. Dès qu’on réussit à marquer un « petit but », on verrouille le cadenas arrière et on s’y arcboute avec toute implication possible et imaginable : tout le "génie" et tous les efforts sont focalisés sur comment empêcher l’autre de marquer un but. Et à la fin, le petit but marqué peut suffire à gagner la partie.

 

Au scrabble, également, il y a une technique comparable à l’inhibition latérale. Au lieu de chercher à former le plus de longs mots possibles pour marquer le plus de points possibles, on recherche et on bloque toute opportunité que l'adversaire pourrait exploiter, et marquer des gros points. A la fin du jeu, sans être particulièrement génial en composition de mots, on peut sortir victorieux avec un faible nombre de points. L’adversaire ayant été systématiquement bloqué, en quelque sorte, inhibé.

 

En biologie comme au jeu…

 

Pour compétitivement gagner (au sens large), l'important c'est de se faire percevoir (entendre, voir, sentir, etc.) plus que le protagoniste (ou adversaire), de marquer plus de points que lui. Plus le protagoniste est proche de zéro moins on a besoin de points pour gagner. Dans un environnement de compétition, le contraindre au "zéro perception" ou au "zéro pointé" pour (sur)valoriser sa moindre perception ou ses moindres points est une stratégie qui peut donner de bons résultats. Selon les épreuves et les atouts propres, l'une ou l'autre stratégie peut être sélectivement privilégier.

 

Application

 

Nous sommes habitués à prendre certaines interpellations, citations célèbres et autres comme des vérités péremptoires. Ex. "Il n’est pas nécessaire d’éteindre la lumière de l’autre pour que brille la nôtre", de Ghandi. C’est flatteur pour nos scrupules mais est-ce une vérité indiscutable ? Certainement pas ! Ce serait plutôt selon qu’on est en contexte (ou situation) de coopération, ou de compétition.

 

En coopération ou assimilé, les "lumières" fusionnent dans une plus grande, en ne conservant distinctes que leurs sources d’émission, leurs "racines". Du moment où l’on n'a pas besoin d'une visibilité individuelle discriminative, il n'est nullement besoin d’éteindre les lumières des autres, bien au contraire.

 

En compétition ou assimilée en revanche, comme c’est généralement le cas de nos jours, les "lumières" sont en concurrence. Ce ne sont plus leurs valeurs absolues mais celles relatives, les unes par rapport aux autres, qui deviennent déterminantes. Et là, il surgit le besoin d'affaiblir ou d'éteindre les autres "lumières" afin de ne laisser poindre que la sienne. C’est à l’image de l’inhibition latérale en biologie, du catenaccio au foot pour survaloriser son "petit score" ou du blocage du jeu de l’adversaire au scrabble pour le même but.

 

Cette citation est surtout une interpellation, une demande d’attention et de considération des produits (de l’esprit par exemple) des autres. Autrement, le besoin "d’éteindre la lumière de l’autre" est le fait d’un contexte de compétition, et sa pratique découle de cette compétition. C’est la compétition qui est donc le problème à adresser.

 

Sous un autre angle, la citation peut signifier qu'il n'est pas nécessaire de dévaloriser l’autre, de lui exprimer du mépris, de le couvrir d’opprobre, etc. pour s’auto-valoriser. Elle interpellerait alors les tenants de ce modèle d’interactions. Ces derniers s’illusionnent. En croyant se valoriser, ils révèlent plutôt leur propre bêtise : triompher d’un adversaire "sans valeur" ne confère nullement de la valeur.



20/02/2023
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