Youssoufou Ouédraogo

Youssoufou Ouédraogo

Discours du PM : sens glissant du "nous" et confusion associée

Sur la version PDF (13 pages hors couvertures) du discours du PM à l’ALT, le "nous" est revenu près de 80 fois, et le "je", à 10 reprises[1]. Le "nous" majestueux (à la place du "je") n'a pas été utilisé.

 

Si le sens du "je" est sans équivoque (je = moi Premier ministre), celui du "nous" a été glissant dans le discours: tantôt pour désigner la Nation ou assimilés, tantôt l'exécutif ou assimilés, d'échelle infranationale.

 

1 – Premier cas, exemple au point 20 du texte où il est dit : « Ces épreuves que nous vivons ne doivent pas être perçues comme une fatalité. Elles doivent plutôt nous fortifier et faire de nous une grande nation. Le terrorisme qui nous a été imposé, a fait comprendre à tous les Burkinabè, qu’ils soient du Nord ou du Sud, de l’Ouest ou de l’Est, qu’ils ont un même destin et un même territoire à défendre. » Ici, le "nous" renvoie au Burkina, à la nation, au pays, au peuple-national ou assimilés.

Sous cet angle, tenir un propos radicalement clivant à partir du "nous" ne serait pas une faute vis à vis de la cohésion et de l’unicité nationales. C'est du reste ce qui se passe avec les mouvements terroristes et apparentés dont on attend et espère la disparition, et rien que la disparition, à brève échéance. Ce fut aussi les cas dans les années 1970 avec le Mouvement autonomiste de l’Ouest (MAO) et le Front des minorités (FRODEMI), tous disparus.

 

2 – Deuxième cas, exemple au point 27 où il est dit : « Nous entendons les sarcasmes des petits esprits incapables de grandeur, et de tous ceux dont l’intérêt n’est pas dans la grandeur de nos peuples. Mais nous sommes là pour oser inventer l’avenir. Pour être grand, il faut avoir des rêves de grandeur. Nous invitons nos peuples à ces rêves. Il nous suffit de montrer la voie, et il reviendra aux peuples d’écrire leur histoire ». Là, le "nous" renvoie à l’exécutif et assimilés (gouvernement ou l’un quelconque de ses démembrements).

Partir de cet autre sens du "nous" pour tenir un propos radicalement clivant serait une faute. Le citoyen (individuellement ou collectivement) a, constitutionnellement, le droit d’être opposé à l'exécutif, voire de s’opposer activement (dans les limites autorisées par la loi) à tout ou partie des options gouvernementales et assimilés du moment. C’est ce qui s’est toujours passé, quoi qu’on puisse en dire, et c’est ce qui est formellement reconnu par le pouvoir actuel. Ne pas l’assumer, en pratique, quand on a la responsabilité du pouvoir d’état, dans notre situation actuelle, c’est virtuellement ajouter de la violence gouvernementale à la violence des mouvements terroristes.

 

Tel est le schéma. Il est relativement clair, sauf qu'il y a le problème suivant : dans nos habitudes de débats politiques publics, chaque fois qu’il y a une épreuve difficile à traverser, chaque fois que le débat national s’enflamme, "être contre le gouvernement ou ses options du moment" (opposition) est abusivement assimilé à "être contre la nation et assimilés", c’est-à-dire, à de l’apatridie. Et c’est toujours par le fait des puissants du moment, qui détiennent la quincaillerie de répression. C’est de là que viennent les inquiétudes, majoritairement diffuses et silencieuses, mais pouvant se cristalliser en zones de pointes bruyantes. Inquiétudes d'autant plus fondées que l’expérience montre qu’opportunément, un régime en place ne manque jamais d'experts ou d’intellectuels (de tous horizons) pour théoriser cette confusion des genres. Et sans qu’il n’en soit forcément l’instigateur direct, il y aura des fabricants de fausses informations et faux documents pour l’escorter. Ex. début avril, "les allégations de conspiration médiatique" contre trois journalistes nationaux par un montage vidéo. Et ces fabrications de faux ne datent pas des réseaux sociaux : outre les tracts orduriers des années 1980, on se souvient qu'en 2000, une information inventée de toute pièce, venue d’un média ivoirien[2], avait été localement relayée contre le président du Collectif. Certains avaient vite fait de l’exploiter pour "leur procès en apatridie" contre lui.

 

Quand, dans une réponse à des inquiétudes d’un député, le PM "botte en touche", par des développements "lointains", il fait fi de cette réalité proche, malheureusement têtue. Il y a un pacte républicain (constitution et arsenal de codes, lois et assimilés) s'imposant et s'opposant à tout citoyen, individuel et collectif, qu’il fallait simplement et fermement rappeler. Le "rassemblement impossible de tout le monde" dans une république reste une lapalissade, sans intérêt, jusqu’à ce qu’on en précise l’objet : rassemblement autour de quoi ?

 

PS : L’exercice ci-dessus peut paraître inutile, tant la parole publique, celle de nos politico-administratifs en particulier, manque de certitude en termes d’engagement : bien souvent, les auteurs les "oublient" royalement, en situation d’épreuve. Le citoyen n’a donc, généralement, que les pratiques (les mises en œuvre) et le temps comme critère fiable de jugement, forcément rétrospectif, et après peut-être des dégâts. Avec les outils numériques de nos jours, la "VAR", les verdicts sont implacables, sauf que nos politiques n’en ont cure ! C’est certainement une des causes du désintérêt de l’analyse prospective détachée et à froid du discours politique public, hors travail journalistique et micros-trottoirs, tous instantanéistes et forcément superficiels. Néanmoins, l’exercice peut avoir son importance : il met une certaine pression, si minime soit-elle, sur les paroles publiques (celles des politico-administratifs en particulier). Il s'agirait de les sortir des beaux alignements de mots sans attention (ou même intention) particulière sur leurs sens et leurs valeurs engageantes. Paroles non-engageantes qui, des indépendances à nos jours, restent la "plaie purulente" (comme dirait l’autre) qui souillent les boubous, costumes et treillis des dirigeants politiques de notre pays et de la sous-région.

 

[1] Comptage par Adobe Reader.

[2] C’était un document monté de toute pièce, l’accusant d’avoir touché 100 millions du Président Bédié de Côte d’Ivoire.



02/06/2023
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