Youssoufou Ouédraogo

Youssoufou Ouédraogo

Complotisme national: on malmène des civils pour pas grand-chose !

Depuis quelques semaines, se succèdent des auditions de responsables politiques, des interpellations et incarcérations de civils. Cela tournerait autour de présumé complot. Justifié ou pas, peu importe ! Évidemment, les civils ne sont pas des saints, et depuis la 1ère République, ils ont eu, et peuvent toujours avoir leur part de complotisme. C’est devenu particulièrement explicite, sans camouflage, depuis le second mandat du Régime MPP et alliés. Des civils ont intentionnellement contribué à des chutes de "margouillats". On aurait pu dire avec l’autre « tant pis pour les mal accrochés ». Mais lorsqu’on abat les arbres et les murs, comment s’accrocher ?

 

Plus que jamais chez nous, et jusqu’à nouvelle donne, « Il n’y a qu’un pouvoir, qui est militaire. Les autres pouvoirs font rire et laissent rire » comme le dit un philosophe (Émile-Auguste Chartier dit Alain). Cela ne date pas des MPSR, mais de toute la trajectoire du pays, depuis 1966. Faut-il le rappeler, dans la constitution de la 2ème République (janvier 1970), il était dit que :

 

« Pendant une période de quatre ans…, les charges et prérogatives du Président de la République seront assumées par la personnalité militaire la plus ancienne dans le grade le plus élevé… » (Art. 108)

 

Et sitôt la « période de quatre ans » bouclée, l’armée, dirigée par Lamizana, s’est empressé de faire un coup d’Etat, le 8 février 1974, maintenant de force cette disposition. Il a fallu une résistance ferme et déterminée, sous la houlette des syndicats mais pas seulement, pour contraindre l’armée à aller vers une "vie constitutionnelle normale" (3ème république). Cette dernière aura pour président élu, le Chef d’état-major général de l’armée. Il avait été présenté « volontairement » par des partis politiques. Malgré tout, rien n’y fit, l’armée était là : 5 putschs en sept ans (novembre 1980 à octobre 1987), suivis de la 4ème république. Le premier président élu de cette dernière fut l’auteur du dernier putsch (le plus sanglant de l’histoire des putschs de notre pays), le chef du régiment le plus fort et le plus craint (brutal) de l’armée nationale, à l’époque. Les complots ont toujours été initiés et exécutés par des clans militaires dont les Chefs se sont toujours installés au pouvoir.

 

Plus qu’auparavant, le dernier putsch (implosion du MPSR) a mis à nu :

 

  • la multiplicité des clans politiques aspirant au pouvoir au sein de notre armée (ou ce qui en tient lieu), et leurs accointances avec des surgissements d’OSC sans trajectoire et bilan d’intérêt public connus ;

 

  • les liens entre des clans militaires et des activistes individuels (hors parti politique ou OSC). Certains hors du pays, opportunément ou définitivement (renoncement à la nationalité) soustraits au droit national burkinabè. D’où leur "témérité" (aucune limite) dans le conditionnement des esprits pour l’acceptation ou le rejet d’un coup d’état, ou d’un régime.

 

C’est apparemment un nouveau paradigme, depuis la mise en échec du coup de septembre 2015 et le démantèlement du RSP. Ce ne sont plus des partis politiques relativement "forts" qui s’adossent à tout ou partie de l’armée pour comploter (ou anti-comploter) ; ce sont des officiers militaires qui utilisent des surgissements d’OSC opportunément coalisées, voire des regroupements informels ou des groupes WhatsApp pour comploter (ou anti-comploter).

 

Comment alors se sortir du qui-vive et des alertes aux complots pour, dans une approche holistique, conduire la lutte contre le terrorisme ? Comment sortir du bullage artificiel de menu-fretins, ou des fabrications de faux coupables jetés à la vindicte des ronds-points (cas des trois journalistes "indexés" dans un montage vidéo, cas de W. C. Sawadogo) ?

 

L’expérience des ruptures de "vie constitutionnelle", dont les deux MPSR, montre qu’il ne faut pas se tromper de cible. Aucun civil n’a jamais directement "hérité" du pouvoir après une rupture non-constitutionnelle dans notre pays. Même après le soulèvement populaire de 1966 ou l’insurrection de 2014 ! C’est dire qu’en matière de complots et assimilés autour du pouvoir d’état, logiquement et historiquement, c’est d’abord dans l’armée qu’il faut chercher des responsabilités ou des culpabilités.

 

Du reste, pour la fraction MPSR qui est au pouvoir actuellement, on voit mal comment des civils (partis politiques, OSC ou presse) pourraient la déranger. Cela, en dehors des jeux d’opposition ou de contre-pouvoir normaux et formellement reconnus, même si en pratique, ils sont drastiquement et différemment contraints. Si risque fatal il y a (on espère que non), il est forcément de ré-implosion, c’est-à-dire, interne aux militaires.

 

En d’autres termes, s’il y a un et un seul "bon cocotier" à secouer dans notre pays (y compris, désormais, en matière de gouvernance), c’est bien l'armée ou ce qui en fait office. Le respect, c’est pour celui qui est plus sévère envers lui-même qu’envers les autres. Que notre armée qui a tenu le pouvoir pendant 50 des 62 ans d’indépendance, commence par se regarder en face, sévèrement, aussi bien en matière de complots, de bonne gouvernance que de l’état d’ensemble du pays.



16/06/2023
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