Youssoufou Ouédraogo

Youssoufou Ouédraogo

Extrait de Vivre ensemble, au-delà du slogan (2018), pages 105-106

Ces dernières décennies, avec les grandes mobilisations populaires et les évènements y consécutifs, les énergies citoyennes et politiques ont été libérées, dans et en dehors des cadres formels, éclatant toutes les bulles de politiquement correct, et générant d’autres bulles dont celles anti-Nation et antirépublicaines (incivisme et ‘épidermisme’ collectif). Ces bulles sont à nécessairement éclater sous peine de perte d’équilibre, d’explosion.

 

Les avantages sont évidents : toute tentative d’indexation, d’exclusion est contrariée par la pluralité de la prise de parole publique et éditoriale des médias (y compris les réseaux sociaux), formellement aux mêmes standards que dans des ‘Grandes démocraties’ selon les derniers rapports de Reporter sans frontière. Cette libération des initiatives, des espaces de prise de parole et de la prise de parole elle-même font que les classes dirigeantes ne peuvent pas tout se permettre, en matière de gouvernance et de redevabilité : la réalisation du programme du président élu est méthodiquement scrutée par les sociétés politique et civile, y compris celle savante via un ‘Présimètre’[1]. Les reniements, les gaps et autres ratés sont décortiqués et exhibés de façon transparente et détachée à l’intention des populations et des opinions nationale et internationale.

 

Les inconvénients sont tout aussi évidents, à commencer par les risques de cristallisation des bulles anti-Nation et antirépublicaines, de non-maitrise des énergies libérées en rapport avec les suites émotionnelles d’exhibitions urbi et orbi des insatisfactions et autres causes factuelles de mécontentement. Les tendances à des réponses hors consensus républicains face aux déficits sécuritaires et infrastructurelles « inacceptables » mettent à rude épreuve des sutures nationales : ces problèmes généraux (spatialement parlant), sont localement vécus et exprimés en termes de « délaissements » ou « abandons » sous-entendu au profit des autres. Les classes moyennes, qui animent le front social, cherchent à rattraper hic et nunc tous les retards de pouvoir d’achats et autres injustices accumulés pendant plus de trente ans. Cela en recourant volontiers à des blocages de services publics et de circuits économiques, parfois sans préavis et sans échéances explicites (déclenchements immédiats et durées « illimitées »). Bref, le pays tend à devenir une juxtaposition de corporations professionnelles, régionales ou thématiques. Chacune de ces corporations semble évoluer dans une sensibilité à fleur de peau, indexant volontiers « les épines de la rose » plutôt que « les roses qui surmontent l’épine », ou « le buisson qui porte des fleurs »[2]. La précoce et historique mobilisation politique qui viabilise est ainsi menacée de déracinement au moment où la Nation en a le plus besoin. Nation qui doit pouvoir contenir et contrôler les lâchers de vapeur, tantôt pour ne pas détruire, tantôt pour ne pas être détruite. Cela, par la promotion d’un vivre-ensemble motivé, y compris philosophiquement, pour parer à toute désastreuse éventualité.

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Commentaire : l'équilibre est perdu depuis début 2022 et sa quête, en cours. Les inconvénients ont pris le pas sur les avantages, justement en surfant sur les exhibitions et amplifications des "gaps et des échecs" du Régime MPP et alliés. Les corporations civiles se retrouvent "dindons" ou complices (volontaires ou involontaires) de celle militaire qui, elle, ne crie pas sa "tigritude" mais bondit sur sa proie (pouvoir d'État) : coup d'État de janvier 2022 dont les "gaps et échecs" ont, à leur tour, motivé celui du 30 septembre 2022. Politiquement, nous en sommes là, avec pour dilemme, comment produire des forgerons "politiques" compétitifs, dans l'absolu, sans émulation de forges "politiques" diverses/plurielles ?

 

 

 

[1] Voir http://www.presimetre.bf/.

 

[2] « Au lieu de me plaindre de ce que la rose a des épines, je me félicite de ce que l'épine est surmontée de roses et de ce que le buisson porte des fleurs » Joseph Joubert, dans Pensées, essais et maximes. Exporté de Wikisource le 7 octobre 2017, page 4.



16/12/2024
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