Youssoufou Ouédraogo

Youssoufou Ouédraogo

Neuroscience et société


Heuristique vs algorithmique

Note préliminaire : Ce texte est constitué à partir d’extraits du cours « Les fonctions supérieures : inhibition, attention, langage et lecture », consultable sur le site « Le cerveau à tous les niveaux » https://lecerveau.mcgill.ca. Ce site à l’avantage d’aborder chaque sujet en trois niveaux (débutant, intermédiaire, avancé) et en cinq échelles (moléculaire, cellulaire, cerébral, psychologique et social).

---------------------

 

Derrière ces deux termes, on peut retrouver, entre autres : inconscient vs conscient, intuitif vs construit, automatique vs réfléchi, précipitation vs recul, impulsion vs retenue, superficialité vs profondeur, impatience vs patience, etc.

 

En neurosciences, il existe la « théorie des processus duaux » (« dual process theories ») : dans notre cerveau cohabitent deux grands types de processus cognitifs, constamment en « pourparlers secrets », et interfacés par un 3ème système (d’inhibition) comme commutateur orienté ou partial.

 

1 - Un système 1, dit heuristique et dominant par défaut. Il est rapide, automatique et inconscient. Il aurait des origines évolutives anciennes. Il est qualifié de « pensée heuristique » parce qu’il repose sur des croyances, des habitudes, des stéréotypes, des idées reçues, etc. Dans un monde complexe où l’on est submergé d’informations contradictoires de toutes sortes, il est confortable et opérationnel. Mais il biaise la pensée en faveur de savoirs déjà acquis et empêche parfois de faire des distinctions importantes, de connecter divers points pour produire du savoir ad hoc, nouveau et plus pertinent. Exemple, lorsque l'on demande à des personnes d'écrire « je les porte », la tendance est d’écrire « je les portes » (avec un « s » à la fin) ; leur cerveau applique un automatisme : « les » est pluriel, donc il commande un « s » à la fin de porte.

 

2 - Un système 2, dit algorithmique, plus lent, plus flexible et nécessitant un contrôle conscient qui serait apparu plus récemment au cours de l’évolution. La pensée est dite « algorithmique » car logique, rationnelle, procède par déductions, inférences, comparaisons, etc. Cette pensée est plus lente et plus difficile d’accès ; mais c’est grâce à elle que l’on peut sortir de la routine et des ornières de nos conditionnements, que l’on peut voir au-delà des apparences. Ce système la petite voix intérieure qui essaie d’établir, par exemple, un rapport « quantité/qualité/prix » optimum, et souvent associé au libre arbitre. Dans l’exemple de « je les porte », pour ne pas faire la faute, il faut activer un mécanisme d'inhibition court-circuitant l'automatisme. Il a été montré que dès l’âge de 6-7 ans, l’enfant peut mettre entre parenthèses sa croyance spontanée pour examiner la situation au moyen de ses outils logiques. En imagerie cérébrale, on observe alors une activation au niveau certaines zones du cerveau (…).

 

3 – Le système d’inhibition est comme un commutateur. C’est lui qui permet de basculer de la pensée heuristique à la pensée algorithmique quand il est activé. Il permet de bloquer les automatismes mentaux pour activer une pensée discursive et logique. Anatomiquement, ce système se développe plus tardivement et plus lentement que les deux premiers évoqués. La maturation de la zone du cerveau qui l’héberge commence seulement à partir de 12 mois et elle dure jusqu’à l’âge adulte, alors que les systèmes heuristique et algorithmique sont mis en place plus tôt, dès les premiers mois de la vie.

 

Figure synthèse

3 systèmes

 

Dans la vie de tous les jours : face à une nouvelle situation (qui fonctionne comme un nouveau stimulus), on peut et on doit s’efforcer de taire cette "irrésistible" envie d’apporter une réponse rapide, automatique, intuitive ou assimilée qui nous vient tout de suite à l’esprit. Alors seulement, il deviendra possible d’exercer sa pensée critique, en se donnant un temps suffisant de délibération (couramment dit « de réflexion »). Il correspond à une inhibition des réponses heuristiques, rapides mais peu fiables, pour accéder aux systèmes d’algorithmes, lents mais plus fiables. Cela ne signifie pas que la réponse heuristique est forcément inadaptée, ou que la réponse algorithmique est infaillible. L’algorithmique alimente l’heuristique et l’améliore. En effet, chaque fois qu’une bonne réponse à une épreuve est trouvée par voie algorithmique, elle va désormais se graver dans les circuits heuristiques pour les prochaines fois. C’est ce qu’on appelle « l’expérience » et l’on comprend alors qu’elle ne soit pas forcément et seulement liée à l’âge mais aux épreuves (quantité et qualité) surmontées avec succès.


24/02/2023
0 Poster un commentaire