Youssoufou Ouédraogo

Youssoufou Ouédraogo

Des frontières artificielles et de la petitesse des pays d'Afrique

 

Il est quotidiennement question des frontières artificielles et de la petitesse des pays d'Afrique, qui constitueraient des contraintes à leurs bonnes projections au monde et au temps. En est-il différemment ailleurs, sur les autres continents ?

 

I - Ce que j'en dis

 

"Les frontières, qu’elles soient entre pays, entre empires ou royaumes, ont régulièrement été fixées par des rapports de forces. Ces forces peuvent être explicites, à la lance ou aux flèches, à l’épée ou au canon sur le terrain (soumissions réelles), ou implicites, par assujettissement ou vassalisation sans combats (soumissions formelles). Tout le reste, dont les traçages à la règle et au crayon, en découle." (dans Que voudraient nos ancêtres ? Panafricanisme, putschisme, identitarisme…). C'est dire qu'en vérité, toute frontière ou délimitation spatiale d'entité étatique est forcément artificielle. La nature n'a jamais délimité un pays pour qui que ce soit, sur quelque continent que ce soit. Ce sont des rapports de forces codifiées pour des besoins de coexistence ergonomique, à défaut de pacifique.

 

"Si ces frontières définies (directement ou indirectement) à l’épée et au canon n’ont pas empêché les ‘petits pays’ européens, asiatiques et américains de s’assumer comme des grands, pourquoi devrait-il en être autrement pour les États d’Afrique ?" (ibid)

 

Quant à la petitesse des pays 'Afrique, le tableau suivant en donne une indication, comparativement au reste du monde.

 

Tableau : Nombre de pays d’Afrique, parmi les 50 et 30 derniers, respectivement premiers, par critère

 

petits pays

 

Sources des données exploitées : https://www.populationdata.net/ (janv. 2024), sauf pour les ressources naturelles, tirées de sources éparses, juste à titre indicatif. Ne sont pris en compte que les 193 pays membres de l’ONU.

 

"Alors, d’où vient la petitesse présumée fatale des pays africains, en dehors de l’esprit de certains Africains et, bien sûr, des commerçants de la « petitesse » ou de la « non-viabilité » en l’état des pays d’Afrique ?"

 

 

II - Pour aller plus loin

 

Un article intitulé "Petite étymologie de la frontière", voir Benoit Vaillot (1 décembre 2016). Petite étymologie de la frontière. Histoire(s) de frontière(s). Consulté le 19 août 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/m4h7.

 

Il existe plusieurs termes désignant ce qui limite, délimite ; frontière est celui que nous utilisons couramment en français. Du latin frons, frontis, qui donna front, la frontière est d’origine militaire ; le mot est ambigu car il recouvre en même temps plusieurs formes de limites et délimitations. En espagnol, frontera recoupe le terme de frontière et assume plus encore sa part de front, certainement parce que ce terme désigna longtemps l’espace entre l’Espagne chrétienne et l’Espagne musulmane lors de la Reconquista. Quant à la frontiera italienne, elle revêt la même signification que la frontière.

 

D’autres langues utilisent plusieurs termes pour signifier la même notion. En anglais, on distingue border, boundary et frontier. Border vient de l’allemand médiéval bort, borda, qui donna bord, bordure, en français. C’est le terme par lequel, on traduit le plus souvent frontière comme ligne de délimitation politique [1], bien que l’on emploie aussi couramment boundary. Frontier se réfère quant à lui à un espace en mouvement, à un espace incertain, aussi appelé front pionner à la suite des travaux de Frederick Jackson Turner [2]. On retrouve cette distinction entre border/boundary et frontier en arabe, avec hadd et hedad.

 

Si border vient de l’allemand médiéval, la Grenze allemande n’en dérive pas et recouvre, comme le mot frontière, plusieurs formes de limites et délimitations. Elle a des racines slaves, gran, granica, qui veut dire bord, bordure. Probablement apporté par les chevaliers germaniques qui toujours plus loin s’enfoncèrent à l’est, le mot remplace progressivement le terme de Mark (apparenté à margo, en latin), qui donna margin, mark, en anglais et marche, marque, en français. La marche se rapproche de la frontier : c’est un espace en marge, ayant souvent une fonction militaire visant à contenir ou à mener des attaques.

 

La frontière, indépendamment des différents sens auxquels renvoie le terme, ne se résume pas à une simple ligne (réelle ou imaginaire) séparant distinctement deux espaces, deux éléments ou deux réalités ; elle peut aussi prendre la forme d’une étendue. Il nous faut composer avec son flottement inhérent et son abstraction croissante — d’une origine spatiale et militaire, on l’emploie pour nombre d’autres domaines, à commencer par le social. Pour résumer, on peut dire que la frontière se borne à limiter.

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[1] C’est pour cette raison — et considérant que la plateforme hypothèse limite le nombre de caractères —, que j’ai employé ce terme dans l’adresse du présent carnet.

[2] Frederick Jackson Turner, The Frontier in the American History, Henry Holt and Company, New-York 1921.

 

III - Et en Mooré ?

 

En Moore du Yatenga, frontière et limite de terrain sont désignées par le même terme : todga. (todse au pluriel). Dans le dictionnaire Mooré-Français-Anglais Édition de 2017 compilé par Urs Niggli (p. 209), et dans l’index français-mooré de 2020 du même auteur (p. 60), frontière est désignée par toaaga (toose au pluriel).

 



20/08/2025
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