Youssoufou Ouédraogo

Youssoufou Ouédraogo

Mort au Front !

Ceci est une fiction

 

 

La nuit, nous avons été attaqués. J’ai survécu. Mon camarade Bounaga est mort.
Inévitablement, quelques images me défilent à l’esprit.


Le jour de notre départ, de la ville pour le front, nous nous étions "remorqués" pour nous rendre à notre site de regroupement. Nous étions en civil comme recommandé avec nos paquetages, également emballés en civil. Bounaga tenait le sien à bras-le-corps, et moi, le mien, entre les jambes.


Arrivé au feu du maquis Lambissi.com, en venant du nouveau goudron qui passe du côté ouest du restaurant La Transition, nous étions heureux de tomber sur un feu vert. Ouf !

 

Mais désillusion !

 

De l’autre côté, un policier tendait le bras pour signifier "stop", à ceux qui étaient au feu rouge. Il était débordé par un flot des "brûleurs". Un homme d’une cinquantaine d’années, à vue d’œilpassa sous le bras du policier en rigolant, pendant qu’un véhicule le contournait ; le conducteur gesticulait et se plaignait ; je me demandais de quoi !


Pendant ce temps, Bounaga et moi étions bloqués au feu vert, avec nos paquetages qui nous encombraient et nous pesaient. Impossible de traverser, malgré notre priorité. Au moment où la voie se dégagea enfin, notre feu passa à l’orange. J'étais à moins de cinq mètres. Je lançai la moto. Sous nos poids et l’effet d’une pente ascendante, elle traîna un peu les roues. Je passai quand même. Derrière nous, les autres pestaient, mais s’arrêtèrent. Au moment où je passais, le feu était peut-être au rouge, mais je n’en avais cure !


Mal nous en a pris.

 

À une centaine de mètres plus loin, devant nous, de part et d’autre de la chaussée, deux autres policiers veillaient. L’un d’eux nous fit signe, du sifflet et de la main, de nous arrêter. Il y avait une dizaine de mobylettes déjà "attrapées". J’avais obtempéré, sans hésitation !


- Vous avez brûlé le feu rouge, dit-il !

 

Je reconnus et relatai les circonstances que lui-même avait  suivre. Pendant qu’il demandait les pièces de la motoBounaga lui expliqua discrètement que nous allions en regroupement militaire. Il demanda alors à voir nos cartes. Ce qui fut fait. Il traversa la chaussée avec nos pièces pour rejoindre son collègue. Après environ une minute d’attente, il nous revint. Les propriétaires des motos déjà "attrapées" suivaient attentivement notre cas, des yeux et des oreilles, comme on suivrait une scène de théâtre.


- Vous pouvez continuer, dit le policier, avec à la clé, sa petite leçon de morale :

 

- Ne recommencez plus !

 

Je démarrai la moto, et nous voilà repartis. Une dizaine de mètres plus loin, Bounaga, qui était calme jusque-là, éclata, soudain, de rage. Il ne se contenait plus, insistait pour que je m’arrêtasse. Il voulait retourner en découdre avec le policier donneur de leçons de morale. Il fallait qu’il dît deux motssinon deux coups-de-poing à ce policier. Quoiqu’il pût advenir !

 

- Il se prend pour qui ? Fulminait-il, avec de fortes gesticulations qui perturbaient notre équilibre. 

 

Et frayeur ! J’évitai de justesse un taxi qui venait de s’arrêter devant nous sans crier gare, après nous avoir dépassés, à peine, pour "descendre" un client. Il nous toisaitprêt à croiser la parole comme on croiserait le fer. 

 

Je m’arrêtai et l’ignorai. C'était pour rappeler à Bounaga ce qui nous attendait ; ce pour lequel nous étions dans la circulation.

 

Et en ce moment…

 

Retourner pour dire deux mots à ce policier, c’était déjà inutile ! Le "peuple" des mobylettes "attrapées" avait commencé à s’en charger, autrement. S’il nous avait laissés continuer, paraîtrait-ilil devrait laisser continuer tout le monde. « C’est injuste » ; « cest de la magouille ! », « c'est quel magnind tum’la woto », et bien d’autres sons.

 

Nous nous en éloignâmes !

 

 

 

Bounaga et une dizaine d’autres soldats sont morts, au front, pour la Patrie. 

 

Je n’ai pas fait l’écoleje ne lis pas les journaux et je ne connais pas les réseaux sociaux. Je suis informé par les rumeurs. Ce que je voiscest en tout-venant ! Ce que j’entendscest sans filtre ! Cest mon sort d’illettré.


Bounaga ! « Mort pour la patrie », cest ce qu’on dit. Cest ce qu’on va dire. 

 

Bounaga ! « Mort au front », cest ce qu’on dit. Cest ce qu’on va dire.


Mais comme soldats de la Mère-PatrieBounaga et moi, n’étions-nous pas déjà morts, simplement en traversant cette ville ?



03/04/2022
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