Youssoufou Ouédraogo

Youssoufou Ouédraogo

Démocratie consensuelle, pacte transversal ?

Article de juillet 2012, publié en version courte dans Le Pays et L'Evenement

 

Après avoir pratiqué la démocratie consensuelle (DC) aux cours du Large Rassemblement (1991-1998) et du Protocole d’accord de gouvernement (2000-2002), le président de l’UNDD propose un Pacte transversal (PT) aux acteurs de la gouvernance politique nationale.

 

A première vue, démocratie consensuelle (DC), pacte transversal (PT) sonnent forcément bien et, en principe, ne devraient pas souffrir de réserves notables. Mais le constat, c’est que ces concepts et leur mise en pratique n’ont fait avancer, ni notre démocratie, ni même le responsable politique qui les porte.

Bien qu’utiles quant à l’occupation des espaces médiatiques et bien que soulevant des questions intéressantes sur le principe, ils manquent de pertinence pour notre processus démocratique. Ce dernier souffre plus de sa mise en pratique dévoyée que d’une codification caduque ou impossible.

 

1 - De la démocratie consensuelle

 

Le concept est élastique, avec un positionnement flexible et mobile dans les pratiques globalisantes et universelles de la démocratie. Il en est de même, théoriquement, dans l’« idée pure », au sens platonicien de la démocratie. C’est un modèle bâtard, sans définition objective précise mais pouvant être distinguée de la démocratie athénienne, directe, et de la démocratie contemporaine, représentative[i].

 

La plupart des politologues l’assimilent (ou la recoupent) à des formes de démocratie dites consociationnelles, de concordances ou consociétales[ii], développées et théorisées à partir des années 1960 mais dont les pratiques sont plus anciennes. Elle serait inspirée du fonctionnement des sociétés traditionnelles amérindiennes, africaines et européennes.

 

En gros, il s’agit d’une codification du partage du pouvoir (considéré comme un gâteau) entre les différents segments de base de la société (ethnies, tribus, régions, confessions religieuses, etc.). Elle est considérée comme adaptée à l’Afrique pour cause de prédominance de considérations tribalistes, régionalistes et assimilées dans la vie politique. Des clichés, somme toute, qui demeurent néanmoins une clef facile d’analyse de la situation politique en Afrique par certains observateurs et politologues occidentaux.

1.1 Quelques exemples hors d’Afrique

En Europe, les exemples emblématiques actuels sont la Belgique, qui vient de passer près de 600 jours sans gouvernement, et la Suisse, « royaume des référendums » : 341 référendums nationaux de 1971 à 2009[iii], soit près de 09 par an (heureusement, les moyens y existent). Les « morceaux » de base sont des communautés linguistiques et culturelles bien territorialisées (Flamands et Wallons en Belgique, Germanophones Francophones, Italophones et Romanches en Suisse).

 

En Indonésie, la DC était inscrite depuis 1945 dans la philosophie d’Etat, la pancasila ou les 5 principes ou préceptes (selon les traducteurs). Ces principes/préceptes sont : la foi en un seul Dieu, l’unité nationale, la justice sociale, la démocratie consensuelle et l’humanisme.[iv] Pour ce pays, il faillait construire des équilibres entre les nombreuses ethnies, archipels et religions mais aux résultats, ce fut de nombreuses rébellions séparatistes dans les années 1950,  la « démocratie dirigée » de Sukarno en 1957 suivie du règne, à partir de 1966, du Général Suharto avec l’élimination de 500 mille à un million d’indonésiens pour cause de sympathie ou de suspicion communiste[v], et les massacres de 1999 dans le Timor-Oriental dont le seul tort était d’avoir voté, par référendum, son autodétermination.

 

Il a été également question de DC au Chili, à la sortie de la dictature de Pinochet, avec le gouvernement de transition formé en 1989. Mais après l’élection de Michelle Bachelet en 2005, certains intellectuels ont considéré que « l’identification de la démocratie consensuelle avec un certain régime des affects, entraîne une façon (sorte) de désaffection ou une déclinaison (déclin) des passions politiques. On dirait que la démocratie (ne) serait effective que vidée de ses sentiments propres, de ses passions propres. »[vi]

 

Au Moyen orient, on peut citer le Liban qui, depuis la Constitution de 1926, avait codifié une démocratie dite de concordances ou des coalitions, une représentativité à base communautaire, religieuse et infra religieuse, que le pays vivait depuis la seconde moitié du 19ème siècle[vii]. Ces communautés sont, en plus, non territoriales (disséminées dans tout le pays), et constituent des enjeux d’un contexte géopolitique complexe et relativement instable.

1.2 Cas de l’Afrique

En Afrique, certains assimilent à de la DC, la « politique de fusions et de regroupements » que Senghor entreprit de 1956 à 1966 avant de raviser, s’étant rendu compte qu’il avait mis, de fait, son pays dans une situation de parti unique. Il avait alors choisi de revenir à la démocratie majoritaire et, en 1974, autorisa l’existence de quatre partis (dont le PDS de M. Wade) correspondants aux courants de pensées existants dans son pays[viii]. De même, au Mali, le constat d’absence d’opposition exprimée à Monsieur Amadou Toumani Touré intuitu personae a été assimilée à de la démocratie consensuelle. Ces deux cas, et bien d’autres certainement, ne sont pas typiques du concept mais procèderaient plutôt d’usages dilettantes ou abusifs du concept.

 

La DC a été développée (théorisée) en Afrique à partir des années 1990, avec le multipartisme intégral consécutif aux démocratisations post-bauliennes. C’est ainsi qu’il en a été cas en Ethiopie en 1991, après la chute de Mengistu, au Tchad, (début des années 2000) où certains opposants l’on qualifiée de « piège à cons »[ix], etc. Mais c’est surtout dans les pays des Grands Lacs où les risques de segmentations ethniques, régionales étaient les plus prégnants, que la DC a été et reste d’une certaine actualité[x]. Au Burundi, à travers l’accord de paix d’Arusha (2000) et la constitution de 2005, « il y aurait un système de partage du pouvoir, largement consociative »[xi]. Pour l’Alliance IGIHANGO[xii], la DC serait mieux indiquée pour « éliminer l’usage négatif des ethnies et des régions dans la compétition pour le pouvoir, sécuriser et rassurer les groupes ethniques et régionaux minoritaires, et pour garantir une véritable réconciliation ».[xiii]

 

En fait, ces formes circonstancielles de démocratie, de partage du pouvoir, semblaient tout trouvées pour :

 

  • des pays à sociétés plurales, « où les partis politiques épousent les contours des clivages segmentaires de nature ethnique, régionale ou linguistique… où la politique est conçue et vécue comme une compétition entre les différents segments de base de la société pour l’allocation des ressources nationales »[xiv] ;

 

  • des « sociétés qui ont connu des crises intenses de nature ethniques ou raciale »[xv] ; et

 

  • des « pays qui sortent de crises ou de conflits politiques (guerre civile, coup d’Etat, génocides, etc.) »[xvi].

 

Mais ce, le temps de surmonter progressivement et structurellement des risques de fractures segmentaires, le temps « de construire une base sociale capable de soutenir l’établissement d’une démocratie viable »[xvii]. Mais installée dans la durée, la DC ne peut que consacrer ou approfondir la fragmentation d’un pays qui se retrouve comme pris en otage par ses entités de base non intégrables, nationalement parlant.

1.3 Cas de notre pays

Chez nous, la DC daterait des travaux de la Commission spéciale de 1976, selon une interprétation des Refondateurs. Ladite Commission aurait été une « véritable conférence nationale souveraine avant la lettre pour inventer une forme démocratique consensuelle de gestion des affaires du pays » (Manifeste pour la refondation nationale, avril 2008).

 

Mais de façon explicite, la DC a été popularisée par l’actuel Président de l’UNDD à partir des années 1990[xviii] et a manifestement inspiré le Programme du Large rassemblement. On perçoit (jusqu’aux résultats) les similitudes de ce large rassemblement avec la « politique de fusions et de regroupements » de Senghor, ci-dessus évoquée. La période médiatique faste de la DC reste cependant celle de la mise en œuvre du Protocole d’accord de gouvernement et, à l’occasion de la fête du 11 décembre 2000, le Chef de l'Etat avait même parlé « d'engager une nouvelle décennie de démocratie consensuelle ».

Selon le chantre de la DC dans notre pays, elle « part du principe qu'il faut mettre de côté le tout majoritaire. Il ne faut pas dire que le parti qui a gagné les élections doit tout prendre au niveau du gouvernement et au niveau de tous les rouages de l'Etat (Le Pays n°2324 du 13/02/2001). Quand on sait que, chez nous, les ADF… successives ont régulièrement participé au gouvernement sans avoir gagné les élections, tout cela semble converger, en pratique, vers une seule et même réalité : se proclamer « de l’opposition tout en se situant dans la mouvance présidentielle »[xix] ou la Majorité présidentielle selon l’ADF-RDA actuelle, dans un « politiquement correct qui gère les apparences et évite les conflits »[xx].

 

Comme le constatait le président de l’ADF, à l’époque, les démocratisations post-bauliennes dans les pays africains et le nôtre se sont accompagnées de violences et de périodes de reflux violents. On peut citer, chez nous, ce que certains ont appelé « la nuit des longs couteaux » (du 9 au 10 décembre 1991, où l’opposant Clément O. Ouédraogo a été assassiné), au Togo, l’attaque contre le Premier ministre Koffigoh en fin 1992, au Congo, le renversement par la guerre du président élu, Lissouba, en 1997 malgré son appel à la DC en 1996[xxi]. Ce climat de violence particulière, avec les risques inhérents de segmentation, pouvait inspirer des formes de DC, délimitées dans le temps et dans ses missions. Bien que restrictives pour le jeu démocratique, elles pouvaient constituer des tremplins solides pour stabiliser définitivement ces pays vers la démocratie.

 

Mais dans une société non plurale et dans un état de droit déjà formalisé, même dévoyé dans sa mise en pratique, la DC n’est pas d’un intérêt national ; au contraire, c’est un recul en ce sens qu’elle étouffe et retarde la maturation normale du processus par une neutralisation et une stérilisation de l’Opposition. La faiblesse de notre Opposition actuelle découle, certes, de considérations propres à elle-même mais la rémanence et l’approfondissement de cette faiblesse, les obstacles subjectifs à son utilitaire unité, sont incontestablement le fait du Large rassemblement, inspiré, comme déjà dit, de la DC. « Consensus dynamique », « consensus national sur le système démocratique », « gestion consensuelle des affaires publiques », etc. sont autant de concepts spécieux qui ont conduit les partis d’opposition les plus consistants à « pactiser » avec le Pouvoir : CNPP/PSD en 1996 (intégration au CDP), PAI jusqu’en 1998, et plus pour certaines de ses fractions, et les ADF, avec ou sans RDA, de 1991 à nos jours. Les partis Refondateurs actuels, pour méritoire que puisse être leur action, n’en demeurent pas moins constitués par des rejetés de ce système. Certains de leurs animateurs actuels en étaient « K O debout », se déclarant publiquement « seconde épouse » ou « passionné de Blaise Compaoré », ou encore, assimilant l’image de Blaise Compaoré (mortel) à un symbole de l’Etat (immortel). Par tous ces faits, ils ont aseptisé le principe d’Opposition et apporté au Pouvoir des armes pour ce faire. Mais lorsqu’on est au pouvoir sans être du Pouvoir, on doit se méfier des armes qu’on y apporte : on ne les reprend pas le jour où l’on quitte.

 

Cela étant, dans notre pays, les partis politiques n’épousent pas des clivages ethniques, régionaux, religieux et assimilés, et les divergences politiques ne peuvent pas en être des reflets. Il n’y a donc pas de raison objective pour délégitimer lesdites divergences dans la conquête et l'accession au pouvoir comme le fait M. Yaméogo quand il dit : « … Si vous prenez les pays africains, un parti, quel qu'il soit, arrive au pouvoir, à cause de divergences ethniques, politiques…, le pays peut se retrouver bloqué. » (Le Pays n°2324 du 13/02/2001).

 

Sur les « divergences ethniques » certes ! Mais ce n’est pas une réalité dans notre pays, à moins de vouloir les susciter ou en faire, artificiellement, un objet de cristallisation pour on ne sait quelle raison. Pour le reste, par quels moyens accéder au pouvoir si on ne peut pas tabler sur les divergences politiques qui constituent le fondement des programmes qui, eux-mêmes, légitiment la raison d'être de tout parti qui veut accéder, par le droit, au pouvoir ? Comment motiver et mobiliser alors l'électorat en ne lui projetant que des convergences qui sont, par nature, de peu d’intérêt comme fonds de mobilisation politique concurrentielle et compétitive ?

 

Par ailleurs, une Opposition qui tenterait de se réaliser dans le cadre d’un Programme du Pouvoir se piège, volontairement ou non : en effet, comment convaincre de l'inadéquation, de l’impertinence d'un programme quand, installé à son ombre, on participe à sa réalisation ? Comment s'opposer, en pratique, à un tel programme, au point de pouvoir lui substituer un programme alternatif, le sien en l’occurrence, par le jeu électoral ?  

 

Dans le même ordre d’idée, le président de l’ADF/RDA de l’époque insistait sur le fait qu’il « ne faut pas appliquer la démocratie selon le principe occidental qui veut que le vainqueur des élections prenne tout et que celui qui a perdu aille faire tapisserie à l'opposition. Ce système peut amener les minorités politiques, ethniques et religieuses à se rebeller et à empêcher la majorité de gouverner » (Le Pays du 8/01/2002).

 

Ranger dans le même sac les « minorités politiques » et les « minorités ethniques » ou « religieuses », vis-à-vis de la conquête et de l’accession au pouvoir dans notre pays, c’est contredire la réalité et tirer le pays en arrière. Et le pacte transversal en est également une forme d’illustration.

 

2 - Du Pacte transversal

 

En août 2010 (Fasozine en ligne du 12 Août), l’idée du pacte était passé pratiquement inaperçue mais un an plus tard (août 2011), elle a fait la une des journaux. La crise est passée par là.

En matière de pacte, un des plus célèbres en Afrique est celui négocié en Afrique du Sud, à la sortie de l’apartheid et mis en œuvre sous Nelson Mandela à partir de 1994. Il a permis de garantir « aux minorités que leurs intérêts ne seront pas saccagés par la majorité… d’apaiser les esprits et de donner une chance au gouvernement de l’ANC à dominance noire après la chute du régime de l’apartheid »[xxii].

Chez nous, depuis les indépendances, on a pu voir plusieurs coalitions ouvertes (partis politiques, organisations de la société civile, personnalités indépendantes, etc.) préméditées ou non, formalisées ou non, autour :

 

  • de revendications politiques et sociales (Soulèvement du 3 janvier 1966, Collectif contre l’impunité en 1998, Coalition contre la vie chère en 2008, etc.) ;

 

  • de la gestion du pouvoir d’Etat (gouvernement d’union nationale en 1976 et protocole d’accord de gouvernement en 2000) ;

 

  • de médiations politiques (Forum de réconciliation nationale en 1992, Journée nationale du pardon en 2000 et Conseil consultatif pour les reformes politiques –CCRP- en 2011).

 

Une coalition ouverte est également invoquée dans le Manifeste pour la refondation nationale d’avril 2008, avec une « coordination bicéphale » qui ferait sa différence essentielle d’avec les précédentes. On se souvient que la « vision dyarchique de la direction du Collectif » était une cause de divergence ayant participé au départ de l’ADF-RDA dudit Collectif en avril 2000.

 

Ce qui est nouveau dans le projet actuel du président de l’UNDD, c’est la notion de « Pacte », présenté comme « une idée à construire, à nourrir,… à mâcher ». Il viserait « …à mettre (ou à remettre) la balle des préoccupations multiformes de la société au centre de l’analyse pertinente des idées et des propositions, sans réelle considération des étiquettes Majorité-Opposition » (Fasozine en ligne du 4 août 2011). C’est la même idée dans Sidwaya du 4 août 2011, où il est dit que le « pacte devrait concerner les partis et associations de tous bords, avec en point d’orgue, l’intérêt des populations et de la nation ».

Mais au choix des termes près, existe-t-il une formation (ou un responsable) politique qui dirait le contraire ! Idem lorsque, dans le même Sidwaya, il est fait état d’un « pacte transversal… autour des questions prioritaires ». Sous réserve d’un relâchement de langage ou d’écriture journalistiques, on « pédale à vide » (expression de l’UNDD dans Le pays du 7 janvier 2008) : les questions prioritaires sont, pour l’essentiel, de simples constats techniques objectifs et il n’est nullement besoin de pacte pour s’y accorder ou pour les transcender. En elles-mêmes, elles ne fondent pas de divergences politiques qui naissent, plutôt, des projets de réponses politiques qui leur sont adressées : comment mobiliser, organiser, orienter et guider la collectivité nationale (tout au moins, une masse critique) pour y faire face, et avec quels soutiens/implications de quels partenaires non nationaux ? Et là, aucun pacte ou « compromis historique définitif » (San Finna en ligne du 3 septembre 2011) ne peut les éluder sans assujettir ceux qui n’ont pas gagné des élections.

 

Bien que l’idée soit à construire, on perçoit son positionnement vis-à-vis de la DC. En 2010 (Fasozine en ligne -12 Août), le Président de l’UNDD disait : « on se rend de plus en plus compte que hors l’union de tous (comme pour une cause sacrée), bref que hors le pacte transversal, cette nécessaire nouvelle gouvernance ne pourra pas voir le jour. Voilà plus de 20 ans que nous le prêchons ». Dans Sidwaya d’août 2011 déjà cité, il est dit que pour l’auteur du concept, « il faut aboutir à une démocratie consensuelle pour un meilleur développement du pays ». Le PT ne serait donc qu’une étape vers la DC que l’actuel Président de l’UNDD prêche « voilà plus de 20 ans ». Vu sous cet angle, on ne pédale plus à vide mais à reculons.

 

Les autres questions qui demeurent sont en rapport avec le pacte républicain qui scelle actuellement notre vivre-ensemble. Notre République est laïque avec une Constitution qui n’exclut pas et qui, dans les faits, n’a jamais exclu la participation de partis se disant d’Opposition ou de personnalités de la société civile à la gestion du pouvoir d’Etat. Alors, pourquoi un autre pacte pour faire la même chose ?

Encore une fois, s’agissant de la gouvernance globale, ce n’est point une question de codification ou de manque de propositions pertinentes ; c’est l’historique et la qualité de notre société politique qui constituent, ensemble, une source d’incertitudes préoccupantes. Ces incertitudes ont fixé et continuent de fixer les limites, en termes de résultats, des aménagements et arrangements institutionnels et politiques imaginés jusque-là, en biaisant systématiquement leur mise en œuvre. Le risque est très grand qu’il en soit ainsi des conclusions du CCRP comme on l’a senti avant les Assises nationales, à travers les petites phrases jetées par-ci par-là, par des « anonymes » ou des personnalités qui comptent. Et le Chef de l’Etat lui-même vient de nous convier « à poursuivre les analyses » sur les points actuellement non consensuels. Pour l’art. 37, c’est sous-entendu, jusqu’à ce qu’il y ait un autre consensus que celui de 2000, qui sous-tend sa formulation actuelle. Si les mots ont encore un sens, ce serait le « consensus » autour de ce qu’il veut ou, alors, la confrontation.

 

Pour les périodes à venir dans notre pays, l’essentiel des réflexions vont dans le sens de ce qui peut être fait, concédé ou compromis (et par qui ?), soit pour sauter le verrou de la limitation, soit pour une bonne sortie de M. Blaise Compaoré, la limitation des mandats présidentiels restant de rigueur.

 

C’est la seconde alternative que l’Opposition plurielle doit affronter courageusement mais en comprenant et en disant à haute voix que le principal concerné doit en être aussi, et de façon explicite, le principal acteur humble et transparent. Les amnisties locales et le reste ne sont que dérisions, sinon flatteries des princes et illusions dangereuses pour notre pays. Les écueils ne sont pas que nationaux (potentiellement surmontables) et les écueils non-nationaux ne sont pas que politiques, où les « effacements » sont négociables et possibles. Les contextes ne sont certainement pas les mêmes, mais si le Président Kérékou a réussi sa sortie, c’est grâce à sa flexibilité légendaire (d’où son surnom « Le caméléon ») et, surtout, à l’humilité dont il a fait preuve lors de la Conférence nationale souveraine de son pays en 1990.

 

C’est pour dire que lorsque ce genre de propositions vient du Pouvoir, les autres parties prenantes, Opposition y comprise, sont plus à l’aise. Cela, aussi bien dans les discussions, négociations ou tractations que dans le respect des engagements qui en découleraient. L’ex. du CCRP est intéressant à ce propos : si jusque-là, certaines manœuvres n’ont pas été possibles ou faciles, c’est bien parce que l’initiative vient du pouvoir lui-même qui en a calé, pratiquement à sa convenance, les règles du jeu. Il a ainsi suffi de lui rappeler ses propres engagements, pris en toute souveraineté, en dehors de toute pression ou influence particulières.

 

Mais lorsque l’Opposition se met en position de demandeuse de « pacte » ou autre, elle aveugle la partie d’en face, les « partisans » de la non-limitation des mandats présidentiels, actuellement. Et en tout état de cause, même si elle gagne quelque chose, ce serait toujours, comme dirait Coluche, « on a gagné …à part ce qu’on a perdu ». Et ces pertes sont souvent déterminantes, voire fatales. 

 

En 1992, le parti de M. Yaméogo, l’ADF, était le 4ème plus grand avec 04 élus sur 101 (03,9%) ; en 1997, après sa participation au Large rassemblement, son parti, l’ADF-RDA, était toujours le 4ème plus grand mais avec 02 élus sur 111 (01,8%). Dans le même temps, son partenaire de DC (l’ODP puis le CDP) grossissait de 77% à 91% des députés.

 

Ecarté du ménage (juin 1997) où elle se disait « seconde épouse », l’ADF-RDA est entrée dans une opposition active qui s’est prolongée avec la première année de la crise Norbert Zongo. Elle fera une participation remarquée au Collectif sous la bannière du Tékré (Changement), avant de se retirer pour divergence de stratégie (avril 2000). Après les propositions du Collège des sages, l’ADF-RDA de M. Yaméogo devient médiatiquement le principal artisan du Protocole de Gouvernement sous la bannière de la DC (et non plus du Tékré). Aux législatives de 2002, elle sort comme 2ème force politique avec 17 députés et passe, pour la première fois, devant le PDP (10 élus). C’est donc le parti qui avait le mieux capitalisé les résultats politiques de la crise. C’est une fois écartée du gouvernement de juin 2002 malgré ses appels du pied, que l’ADF/RDA retrouva, encore une fois, son rôle de « vrai opposant ».

Dans ces va-et-vient, il est loisible de constater qu’à chaque ‘va’ et à chaque ‘vient’, les partis que M. Yaméogo a dirigés ont été délestés de pans plus ou moins importants de militants-leviers au profit, soit du Pouvoir (ULD, PLB et CDF en 1998, RDF en 2005), soit de l’Opposition plurielle (RPP Gwassigui et UDF en 2001, UNIS en 2005, CODEF en 2006). Et en 2003, c’est toute l’ADF-RDA qui est parti avec le Pouvoir.

 

Les conséquences sont systémiques, au-delà des partis qu’il dirige ou de sa propre personnalité politique, obligé de ressusciter le sigle « UNDD » pour se redonner une vie partisane. C’est toute la société politique et, avec elle, le jeu politique, qui se discrédite, ou se dégrade sans appel.

 

3 - Conclusion

 

D’une manière générale, dès que l’on commence à ajouter des qualificatifs à la démocratie, « consensuelle », « apaisée(?) », « participative(?) », on la travestit ou, dans le meilleur des cas, on la déséquilibre. Dans ce dernier cas, ce n’est pas forcément mauvais en soi mais cela doit se faire en connaissance de cause. Et dans la DC et le PT, le déséquilibre l’est au détriment des ferments légaux de l'alternance (spécificité des plans et programmes de réponses aux questions prioritaires, l’autonomie politique et la capitalisation du bilan, entre autres). Cela développe, qu’on le souhaite ou non, les ferments non légaux de l’alternance.

 

La participation de l’opposition ou des Associations de la société civile à un pacte (de gouvernement ou autre) n’est, certes, pas à exclure mais cela devrait être exceptionnel, circonstanciel et centré sur des préoccupations relatives au jeu démocratique. M. Ki Zerbo disait à propos du Protocole d’accord de Gouvernement, qu’il « doit être limité expressément dans le temps… sa mission doit être rigoureusement définie, précise et consensuellement acceptée » (Le Pays du 4/01/2002). Il devra en être de même, actuellement, pour tout pacte ou assimilé. En clair, cela ne devrait être qu’une parenthèse, où il ne s’agirait pas de mettre en œuvre, expressément, un programme politique, soit-il du président élu, mais de réunir les conditions d'une poursuite durable de notre processus démocratique. Autrement, en s’ouvrant formellement aux Associations de la société civile (et non plus à des personnalités intuitu personae) dans une éventuelle gestion du pouvoir d’Etat, le PT délégitime la société politique dans son ensemble. Et le fait qu’une partie de la société politique en arrive à des telles propositions est une confession d’incapacité et, partiellement, une sorte d’auto-disqualification.

 

Notre Opposition, dans sa pluralité et ses divergences internes, doit se donner une indépendance, un recul et un détachement suffisants pour lui permettre d’évaluer, sans balbutiements ni équivoques, le bilan du Pouvoir en place. Être de l’opposition ne devrait pas être considéré comme quelque chose qui « puisse vraiment fragiliser et gêner le pays »[xxiii] (expression d’intolérance en avril 2001, alors que le parti de M. Yaméogo était au pouvoir), ou encore, comme « aller faire tapisserie » (expression d’impatience en janvier 2002, alors que le parti de M. Yaméogo n’était plus au pouvoir).

 

Il est vrai que le fait d’en être à proposer, actuellement, un concept qui avait une certaine pertinence au sortir du Front Populaire (fin des années 1980) montre que nous n’avons pas avancé sur l’essentiel : disposer d’institutions républicaines suffisamment fortes et d’une société politique crédible, compétente et efficace. Mais doit-on pour autant et pour cela, priver le pays des « délices des duels politiques » (expression de M. Yaméogo) sans lequel on ne peut maintenir en éveil l’électorat (même largement analphabète), sans lequel on ne peut donner un sens au vote, par une différenciation plus ou moins claire des options à choisir à travers ledit vote. C’est le principe d’opposition qui n’aurait plus de légitimité comme on le voit avec l’ADF-RDA actuelle qui, malgré sa volonté, a été poussée hors Opposition. A force d’émousser les aspérités, on prive la démocratie de sa sève nourricière et on vide la politique de toute passion et saveur, et les distinctions politiques s’effacent pour n'en laisser que celles entre les personnes.

 

Notes

 

[i] Francis Dupuis-Déri : Qu’est-ce que la démocratie ? Horizons philosophiques, vol. 5, n° 1, 1994.

 

[ii] Respectivement du néerlandais Arend Lijphart, de l’allemand Gerhard Lehmbruch et des canadiens Gabriel Almond et Sidney Verba.

 

[iii] http://www.democratiedirecte.fr/2009/12/principaux-referendums-en-suisse-depuis-1948-au-niveau-national-federal/

 

[iv] Yannick Prost, La démocratisation en Indonésie, enjeux politiques et culturels in « L'Indonésie, un demi-siècle de construction nationale » Françoise Cayrac-Blanchard, Stéphane Dovert, Frédéric Durand Ed L’Harmattan, 2000, 352 pages (pages 269-302).

 

[v] Jurquet Jacques, Génocide anticommuniste en Indonésie, in Le livre noir du capitalisme, Le Temps des cerises, 2001, p. 171-183

 

[vi] Alejandra Castillo et Julieta Kirkwood, Políticas del Nombre Propio, Santiago, Palinodia, 2007. Les précisions entre parenthèses le sont par moi.

 

[vii] Corm Georges : Contraintes historiques, régionales et internationales dans le fonctionnement de la démocratie au Liban. Confluences Méditerranée, 2005/3 N°54, p. 217-238.

 

[viii] Christian VALANTIN : Culture et politique chez Senghor (non daté) URL : <http://www.usenghor-francophonie.org/publications/cvalantin.pdf>.

 

[ix] Ngarlejy Yorongar : Tchad: démocratie, crimes, tortures et mensonges d'état : autopsie d'un assassinat annoncé le 3 février 1999, programmé et exécuté le 3 février 2008. Editions L'Harmattan, 2010 ; 501 pages.

 

[x] Voir, entre autres, Pierre Moukoko Bonjo : Pluralisme sociopolitique et démocratie en Afrique : l’approche consociationnelle ou du power sharing. In Afrique 2000, novembre 1993, n°15, p.43 ; Xavier Bienvenu KITSIMBOU : La démocratie et les réalités ethniques au Congo ; Thèse de Sciences Politiques, 2001, 321 pages ; Jean Luc Stalon : Construire une démocratie consensuelle au Rwanda. Editions L'Harmattan, 2002 ; 158 pages ; Stef Vandeginste : Théorie consociative et partage du pouvoir au Burundi. Dans IOB Cahier 2006/04 (Université d’Anvers) 34 pages.

 

[xi] Stef Vandeginste, op. cit.

 

[xii] Constituée par l’Alliance pour la renaissance de la Nation, les Forces démocratiques de libération du Rwanda dont certains membres sont soupçonnés de participation au génocide, et le mouvement monarchiste Nation-Imbaga y’Inyabutatu Nyarwanda.

 

[xiii] Les principes directeurs de la démocratie consensuelle proposée par l’alliance « IGIHANGO », 2002.

 

[xiv] Pierre Moukoko Bonjo : Pluralisme sociopolitique et démocratie en Afrique : l’approche consociationnelle ou du power sharing. Dans Afrique 2000, novembre 1993, n°15, p.43.

 

[xv] Jean Luc Stalon, op. cit.

 

[xvi] El Hadji Omar Diop : Partis politiques et processus de transition démocratique en Afrique noire. Editions Publibook, 2006.

 

[xvii] Jean Luc Stalon, op. cit.

 

[xviii] Voir « Un supplément d’âme pour une société consensuelle » Imprimerie des Quatre Vents-1990. 104 pages.

 

[xix] Publication de l’international IDEA. Capacity building Série 4, « La Démocratie au Burkina Faso ; Rapport de la Mission d’Analyse ».

 

[xx]Anthony Vincent : Évitons le “politiquement correct” de la démocratie consensuelle ! Dans « presse-toi à gauche », 10 décembre 2007. <http://www.pressegauche.org>.

 

[xxi] Discours à l’occasion du 36ème anniversaire de l’indépendance du Congo.

 

[xxii] Jean Luc Stalon, op.cit.

 

[xxiii] Voir Interview de M. Yaméogo, par Yannick Laurent Bayala au journal de 13 heures du dimanche 8/04/2001.



01/07/2021
0 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au site

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 12 autres membres